Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/208

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affaire à se descharger d’aucunes tasches notables en la sienne. A on trouué que la volupté et la santé soyent plus sauoureuses à celuy qui scait l’astrologie, et la grammaire :

Illiterati num minus nerui rigent ?

et la honte et pauureté moins importunes ?

Scilicet et morbis et debilitate carebis,
Et luctum et curam effugies, et tempora vitæ
Longa tibi post hæc facto meliore dabuntur.

I’ay veu en mon temps, cent artisans, cent laboureurs, plus sages et plus heureux que des recteurs de l’vniuersité et lesquels l’aimerois mieux ressembler. La doctrine, ce m’est aduis, tient rang entre les choses necessaires à la vie, comme la gloire, la noblesse, la dignité, ou pour le plus comme la richesse, et telles. autres qualitez qui y seruent voyrement, mais de loing, et plus par fantasie que par nature. Il ne nous faut guere non plus d’offices, de regles, et de loix de viure, en nostre communauté, qu’il en faut aux grues et formis en la leur. Et neantmoins nous voyons qu’elles s’y conduisent tres ordonnément, sans erudition. Si l’homme estoit sage, il prendroit le vray prix de chasque chose, selon qu’elle seroit la plus vtile et propre à sa vie. Qui nous contera par nos actions et deportemens, il s’en trouuera plus grand nombre d’excellens entre les ignorans, qu’entre les sçauans ; ie dy en toute sorte de vertu. La vicille Rome me semble en auoir bien porté de plus grande valeur, et pour la paix, et pour la guerre, que cette Rome sçauante, qui se ruina soy-mesme. Quand le demeurant seroit tout pareil, aumoins la preud’hommie et l’innocence demeureroient du costé de l’ancienne : car elle loge singulierement bien auec la simplicité. Mais ie laisse ce discours, qui me tireroit plus loing, que ie ne voudrois suyure. I’en diray seulement encore cela, que c’est la seule humilité et submission, qui peut effectuer vn homme de bien. Il ne faut pas laisser au iugement de chacun la cognoissance de son deuoir : il le luy faut prescrire, non pas le laisser choisir à son discours : autrement selon l’imbecillité et varieté infinie de nos raisons et opinions, nous nous forgerions en fin des deuoirs, qui nous mettroient à nous manger les vns les autres, comme dit Epicurus.La premiere loy, que Dieu donna iamais à l’homme, ce fut vne loy de pure obeyssance : ce fut vn commandement, nud et simple où l’homme n’eust rien à cognoistre et à causer, d’autant que l’obeyr est le propre office d’vne ame raisonnable, recognoissant vn celeste, superieur et bien-facteur.