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le seruice de l’enfantement de Latone : mais Dieu a voulu que toute la mer fust arrestée, affermie et applanie, sans vagues, sans vents et sans pluye, cependant que l’halcyon fait ses petits, qui est iustement enuiron le solstice, le plus court iour de l’an : et par son priuilege nous auons sept iours et sept nuicts, au fin cœur de l’hyuer, que nous pouuons nauiguer sans danger. Leurs femelles ne recognoissent autre masle que le leur propre : l’assistent toute leur vie sans iamais l’abandonner : s’il vient à estre debile et cassé, elles le chargent sur leurs espaules, le portent par tout, et le seruent iusques à la mort. Mais aucune suffisance n’a encores peu atteindre à la cognoissance de cette merueilleuse fabrique, dequoy l’halcyon compose le nid pour ses petits, ny en deuiner la matiere. Plutarque, qui en a veu et manié plusieurs, pense que ce soit des arestes de quelque poisson qu’elle conioinct et lie ensemble, les entrelassant les vnes de long, les autres de trauers, et adioustant des courbes et des arrondissemens, tellement qu’en fin elle en forme vn vaisseau rond prest à voguer : puis quand elle a paracheué de le construire, elle le porte au batement du flot marin, là où la mer le battant tout doucement, luy enseigne à radouber ce qui n’est pas bien lié, et à mieux fortifier aux endroits où elle void que sa structure se desmeut, et se lasche pour les coups de mer et au contraire ce qui est bien ioinct, le batement de la mer le vous estreinct, et vous le serre de sorte, qu’il ne se peut ny rompre ny dissoudre, ou endommager à coups de pierre, ny de fer, si ce n’est à toute peine. Et ce qui plus est à admirer, c’est la proportion et figure de la concauité du dedans : car elle est composée et proportionnée, de maniere qu’elle ne peut receuoir ny admettre autre chose, que l’oiseau qui l’a bastie : car à toute autre chose, elle est impenetrable, close, et fermée, tellement qu’il n’y peut rien entrer, non pas l’eau de la mer seulement. Voyla vne description bien claire de ce bastiment et empruntée de bon lieu : toutesfois il me semble qu’elle ne nous esclaircit pas encore suffisamment la difficulté de cette architecture. Or de quelle vanité nous peut-il partir, de loger au dessoubs de nous, et d’interpreter desdaigneusement les effects que nous ne pouuons imiter ny comprendre ?Pour suyure encore vn peu plus loing cette equalité et correspondance de nous aux bestes, le priuilege dequoy nostre ame se glorifie, de ramener à sa condition, tout ce qu’elle conçoit, de despouiller de qualitez mortelles, et corporelles, tout ce qui vient à elle, de renger les choses qu’elle estime dignes de son accointance, à desuestir et despouiller leurs conditions corruptibles, et leur faire laisser à part, comme vestemens superflus et viles, l’espesseur, la longueur, la profondeur, le poids, la couleur, l’odeur, l’aspreté, la polisseure, la dureté, la mollesse, et