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entrebâillées et ouvertes, jusqu’à ce qu’il y voit entrer quelque petit poisson propre à être capturé ; il entre alors dans la nacre, et la pinçant dans la chair vive, la contraint à fermer sa coquille ; tous deux se mettent alors à manger la proie qui s’est ainsi laissé emprisonner. — La manière de vivre des thons indique une singulière connaissance des trois branches des mathématiques. Pour l’astronomie, ils pourraient en remontrer à l’homme, car ils s’arrêtent là où les surprend le solstice d’hiver et n’en bougent plus jusqu’à l’équinoxe suivant ; c’est pourquoi Aristote va même leur concédant l’intelligence de cette science. Ils dénotent la connaissance qu’ils ont de la géométrie et de l’arithmétique, en ce qu’ils se groupent toujours en bande affectant la forme d’un cube, carré en tous sens, sorte de bataillon en masse à six faces égales, clos et gardé de toutes parts. Ils nagent dans cet ordre qui présente les mêmes dimensions à l’arrière que sur le devant, de telle sorte que celui qui en voit et en compte un rang, peut aisément dénombrer l’effectif de la bande, dont la profondeur égale la largeur et la largeur égale la longueur.

Exemples de magnanimité, de repentir, de clémence chez les animaux. — Si nous parlons de magnanimité, il est difficile d’en trouver un exemple plus caractéristique que celui de ce chien, de taille tout à fait exceptionnelle, envoyé des Indes au roi Alexandre. On lui présenta tout d’abord à combattre un cerf, puis un sanglier, puis un ours ; il n’en fit pas cas et ne daigna même pas bouger de sa place ; mais quand on mit un lion en sa présence, il se dressa aussitôt sur ses pattes, manifestant ainsi le reconnaître comme le seul adversaire qu’il trouvât digne de lui.

Comme témoignage de repentir et d’aveu de ses fautes, citons un éléphant qui, dit-on, ayant tué son cornac dans un accès de colère, en eut un tel regret qu’il ne voulut plus accepter de nourriture et se laissa mourir de faim.

La clémence chez les animaux est attestée par ce fait que l’on prête à un tigre, la plus inhumaine de toutes les bêtes. On lui avait donné un chevreau ; pendant deux jours, il souffrit la faim, plutôt que de lui faire du mal ; et le troisième jour, il brisa la cage où il était enfermé pour aller chercher autre chose à dévorer, ne voulant pas se porter à cette extrémité sur ce chevreau, dont il avait fait son familier et son hôte.

La familiarité et les relations qui naissent de la fréquentation peuvent exister chez les animaux ; il arrive en effet que nous apprivoisons fort bien à vivre ensemble, des chats, des chiens et des lièvres.

L’ingéniosité de l’alcyon dans la construction de son nid défie toute notre intelligence. — Quiconque voyage sur mer, notamment sur la mer de Sicile, peut voir la particularité que présente l’alcyon, qui dépasse tout ce que l’homme peut imaginer. Jamais la nature n’a tant honoré les couches, la naissance, l’enfantement d’aucune autre créature. Les poètes disent bien que l’île de