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Il est des nations où les femmes sont en commun, il en est d’autres où chacun a la sienne ; cela ne se voit-il pas aussi chez les animaux, et la fidélité conjugale n’est-elle pas mieux observée par eux que par nous.

Comme nous, ils se constituent en sociétés ; on trouve même des associations d’individus d’espèces différentes. — Les sociétés, les fédérations qui ont pour objet de se liguer pour se prêter un mutuel secours, existent aussi chez eux. — Chez les bœufs, les pourceaux et autres, au cri de l’un d’eux que vous offensez, on voit toute la troupe accourir pour lui venir en aide et se grouper pour le défendre. — Quand l’escare vient à avaler l’hameçon que lui tend le pêcheur, ses compagnons s’assemblent en foule autour de lui et rongent le fil de la ligne. Lorsque, par hasard, il y en a un qui est entré dans la nasse, les autres, du dehors, le saisissent par la queue, la lui serrant tant qu’ils peuvent avec les dents et le tirent à force, cherchant à le faire sortir. — Les barbiers, quand l’un d’eux est harponné, frottent la corde qui retient le fer, avec leur dos qui est armé d’un os faisant saillie, dentelé en forme de scie, et s’efforcent de la rompre en la coupant.

Chez l’homme, pour s’entr’aider dans la vie, les individus se rendent des services réciproques ; les bêtes en offrent également des exemples. — On dit que la baleine ne marche jamais que précédée d’un petit poisson, semblable au goujon de mer et que, pour cette particularité, on nomme « le guide ». La baleine le suit, se laissant conduire et diriger par lui avec autant de facilité que le timonier fait virer le navire. En retour, tandis que tout ce qui, bête ou vaisseau, entré dans l’horrible gouffre qu’est la bouche du monstre, y est englouti et irrémédiablement perdu, le guide s’y retire en toute sûreté et y dort ; pendant toute la durée de son sommeil, la baleine ne bouge pas, mais, aussitôt qu’il sort, elle le suit et cela d’une façon continue. Si, par hasard, elle perd sa trace, elle va errant de côté et d’autre, se heurtant souvent contre les rochers, semblable à un bateau qui n’a plus de gouvernail. Plutarque déclare avoir constaté le fait, près de l’ile d’Anticyre. — Pareille association existe entre le petit oiseau qu’on nomme « le roitelet » et le crocodile. Le roitelet sert de sentinelle à ce grand animal ; et, lorsque l’ichneumon, son ennemi, s’approche pour le combattre, l’oiseau, de peur que le crocodile ne soit surpris pendant son sommeil, l’éveille par son chant et ses coups de bec et le prévient du danger. Par contre, il vit des restes de ce monstre qui le reçoit familièrement dans sa gueule et le laisse becqueter dans ses mâchoires et entre ses dents, et y recueillir les débris de chair qui y sont demeurés. Lorsqu’il veut fermer la gueule, il le prévient auparavant d’en sortir, en ne la refermant que peu à peu, sans l’étreindre, ni le blesser. — Le coquillage connu sous le nom de « nacre », vit ainsi avec le pinnothère, petit animal de l’espèce du crabe, qui lui sert d’huissier et de portier. Stationnant à l’ouverture de ce coquillage, il en tient continuellement les deux valves