Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/182

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trompe dans le sein par dessoubs son collet, et luy tastoit les tettins. Ils recitent aussi d’vn dragon amoureux d’vne fille ; et d’vne oye esprise de l’amour d’vn enfant, en la ville d’Asope ; et d’vn belier serviteur de la menestriere Glaucia : et il se void tous les jours des magots furieusement espris de l’amour des femmes. On void aussi certains animaux s’addonner à l’amour des masles de leur sexe. Oppianus et autres recitent quelques exemples, pour montrer la reuerence que les bestes en leurs mariages portent à la parenté ; mais l’experience nous fait bien souuent voir le contraire ;

Nec habetur turpe iuuencæ
Ferre patrem tergo ; fit equo sua filia coniux ;
Quasque creauit, init pecudes caper ; ipsáque cuius
Semine concepta est, ex illo concipit ales.

De subtilité malitieuse, en est-il vne plus expresse que celle du mulet du philosophe Thales ? lequel passant au trauers d’vne riuiere chargé de sel, et de fortune y estant bronché, si que les sacs qu’il portoit en furent tous mouillez, s’estant apperçeu que le sel fondu par ce moyen, luy auoit rendu sa charge plus legere, ne failloit iamais aussi tost qu’il rencontroit quelque ruisseau, de se plonger dedans auec sa charge, iusques à ce que son maistre descouurant sa malice, ordonna qu’on le chargeast de laine, à quoy se trouuant mesconté, il cessa de plus vser de cette finesse.Il y en a plusieurs qui representent naïfuement le visage de nostre auarice ; car on leur void vn soin extreme de surprendre tout ce qu’elles peuuent, et de le curieusement cacher, quoy qu’elles n’en tirent point vsage. Quant à la mesnagerie, elles nous surpassent non seulement en cette preuoyance d’amasser et espargner pour le temps à venir, mais elles ont encore beaucoup de parties de la science, qui y est necessaire. Les fourmis estandent au dehors de l’aire leurs grains et semences pour les esuenter, refreschir et secher, quand ils voyent qu’ils commencent à se moisir et à sentir le rance, de peur qu’ils ne se corrompent et pourrissent. Mais la caution et preuention dont ils vsent à ronger le grain de froment, surpasse toute imagination de prudence humaine. Par ce que le froment ne demeure pas tousiours sec ny sain, ains s’amolit, se resoult et destrempe comme en laict, s’acheminant à germer et produire de peur qu’il ne deuienne semence, et perde sa nature et proprieté de magasin pour leur nourriture, ils rongent le bout, par où le germe a coustume de sortir.Quant à la guerre, qui est la plus grande et pompeuse des actions humaines, ie scaurois volon-