Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/174

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plusieurs autres fourmis leur vindrent au deuant, comme pour parler à eux, et apres auoir esté ensemble quelque piece, ceux-cy s’en retournerent, pour consulter, pensez, auec leurs concitoyens, firent ainsi deux ou trois voyages pour la difficulté de la capitulation. En fin ces derniers venus, apporterent aux premiers vn ver de leur taniere comme pour la rançon du mort, lequel ver les premiers chargerent sur leur dos, et emporterent chez eux, laissans aux autres le corps du trespassé. Voila l’interpretation que Cleanthes y donna tesmoignant par là que celles qui n’ont point de voix, ne laissent pas d’auoir pratique et communication mutuelle ; de laquelle c’est nostre deffaut que nous ne soyons participans ; et nous meslons à cette cause sottement d’en opiner.Or elles produisent encores d’autres effects, qui surpassent de bien loing nostre capacité, ausquels il s’en faut tant que nous puissions arriuer par imitation, que par imagination mesme nous ne les pouuons conceuoir. Plusieurs tiennent qu’en cette grande et derniere baltaille nauale qu’Antonius perdit contre Auguste, sa galere capitainesse fut arrestée au milieu de sa course, par ce petit poisson, que les Latins nomment remora, à cause de cette sienne proprieté d’arrester toute sorte de vaisseaux, ausquels il s’attache. Et l’Empereur Caligula vogant auec vne grande flotte en la coste de la Romanie, sa scule galere fut arrestée tout court, par ce mesme poisson ; lequel il fit prendre attaché comme il estoit au bas de son vaisseau, tout despit dequoy vn si petit animal pouuoit forcer et la mer et les vents, et la violence de tous ses auirons, pour estre seulement attaché par le bec à sa galere, car c’est vn poisson à coquille, et s’estonna encore non sans grande raison, de ce que luy estant apporté dans le batteau, il n’auoit plus cette force, qu’il auoit au dehors. Vn citoyen de Cyzique acquit iadis reputation de bon mathematicien, pour auoir appris la condition de l’herisson. Il a sa taniere ouuerte à diuers endroits et à diuers vents ; et preuoyant le vent aduenir, il va boucher le trou du costé de ce vent-là ; ce que remerquant ce citoyen, apportoit en sa ville certaines predictions du vent, qui auoit à tirer. Le cameleon prend la couleur du lieu, où il est assis : mais le poulpe se donne luy-mesme la couleur qu’il luy plaist, selon les occasions, pour se cacher de ce qu’il craint, et attrapper ce qu’il cherche. Au cameleon c’est changement de passion, mais au poulpe c’est changement d’action. Nous auons quelques mutations de couleur, à la frayeur, la cholere, la honte, et autres passions, qui alterent le teint de nostre visage : mais c’est par l’effect de la souffrance, comme au cameleon. Il est bien en la