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sorte de nostre suffisance ne recognoissons nous aux operations des animaux ? est-il police reglée auec plus d’ordre, diuersifiée à plus de charges et d’offices, et plus constamment entretenuë, que celle des mouches à miel ? Cette disposition d’actions et de vacations si ordonnée, la pouuons nous imaginer se conduire sans discours et sans prudence ?

His quidam signis atque hæc exempla sequuti,
Esse apibus partem diuinæ mentis, et haustus
Æthereos dixere.

Les arondelles que nous voyons au retour du printemps fureter tous les coins de nos maisons, cherchent elles sans iugement, et choisissent elles sans discretion de mille places, celle qui leur est la plus commode à se loger ? Et en cette belle et admirable contexture de leurs bastimens, les oiseaux peuuent ils se seruir plustost d’vne figure quarrée, que de la ronde, d’vn angle obtus, que d’vn angle droit, sans en scauoir les conditions et les effects ? Prennent-ils tantost de l’eau, tantost de l’argile, sans iuger que la dureté s’amollit en l’humectant ? Planchent-ils de mousse leur palais, ou de duuct, sans preuoir que les membres tendres de leurs petits y seront plus mollement et plus à l’aise ? Se couurent-ils du vent pluuieux, et plantent leur loge à l’orient, sans cognoistre les conditions differentes de ces vents, et considerer que l’vn leur est plus salutaire que l’autre ? Pourquoy espessit l’araignée sa toile en vn endroit, et relasche en vn autre ? se sert à cette heure de cette sorte de neud, tantost de celle-là, si elle n’a et deliberation, et pensement, et conclusion ?Nous recognoissons assez en la pluspart de leurs ouurages, combien les animaux ont d’excellence au dessus de nous, et combien nostre art est foible à les imiter. Nous voyons toutesfois aux nostres plus grossiers, les facultez que nous y employons, et que nostre ame s’y sert de toutes ses forces : pourquoy n’en estimons nous autant d’eux ? Pourquoy attribuons nous à ie ne sçay quelle inclination naturelle et seruile, les ouurages qui surpassent tout ce que nous pouuons par nature et par art ? En quoy sans y penser nous leur donnons vn tres-grand auantage sur nous, de faire que Nature par vne douceur maternelle les accompaigne et guide, comme par la main à toutes les actions et commoditez de leur vie, et qu’à nous elle nous abandonne au hazard et à la fortune, et à quester par art, les choses necessaires à nostre conseruation ; et nous refuse quant et quant les moyens de pouuoir arriuer par aucune institution et contention d’esprit, à la suffisance naturelle des bestes de maniere que leur stupidité brutale surpasse en toutes