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les estoilles, les eaux et la terre, pour nous representer les intelligibles. Les choses inuisibles de Dieu, dit Sainct Paul, apparoissent par la creation du monde, considerant sa sapience eternelle, et sa diuinité par ses œuures.

Atque adeo faciem cæli non inuidet orbi
Ipse Deus, vultusque suos corpúsque recludit
Semper voluendo ; séque ipsum inculcat et offert,
Vt bene cognosci possit, doceátque videndo
Qualis eat, doceátque suas attendere leges.

Or nos raisons et nos discours humains c’est comme la matiere lourde et sterile : la grace de Dieu en est la forme : c’est elle qui y donne la façon et le prix. Tout ainsi que les actions vertueuses de Socrates et de Caton demeurent vaines et inutiles pour n’auoir eu leur fin, et n’auoir regardé l’amour et obeyssance du vray createur de toutes choses, et pour auoir ignoré Dieu : ainsin est-il de nos imaginations et discours : ils ont quelque corps, mais vne masse informe, sans façon et sans iour, si la foy et grace de Dieu n’y sont ioinctes. La foy venant à teindre et illustrer les argumens de Sebonde, elle les rend fermes et solides : ils sont capables de seruir d’acheminement, et de premiere guyde à vn apprentif, pour le mettre à la voye de cette cognoissance : ils le façonnent aucunement et rendent capable de la grace de Dieu, par le moyen de laquelle se parfournit et se parfaict apres nostre creance. Ie sçay vn homme d’authorité nourry aux lettres, qui m’a confessé auoir esté ramené des erreurs de la mescreance par l’entremise des argumens de Sebonde. Et quand on les despouïllera de cet ornement, et du secours et approbation de la foy, et qu’on les prendra pour fantasies pures humaines, pour en combatre ceux qui sont precipitez aux espouuantables et horribles tenebres de l’irreligion, ils se trouueront encores lors, aussi solides et autant fermes, que nuls autres de mesme condition qu’on leur puisse opposer. De façon que nous serons sur les termes de dire à nos parties,

Si melius quid habes, accerse ; vel imperium fer.

Qu’ils souffrent la force de nos preuues, ou qu’ils nous en facent voir ailleurs, et sur quelque autre subiect, de mieux tissuës, et mieux estoffées. Ie me suis sans y penser à demy desia engagé dans la seconde obiection, à laquelle i’auois proposé de respondre pour Sebonde.

Aucuns disent que ses argumens sont foibles et