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pour implanter cette conviction dans leur conscience ; donnez-leur un bon coup d’épée dans la poitrine, ils ne laisseront pas de joindre les mains et d’implorer le ciel ; et, quand la crainte ou la maladie aura tempéré ou abattu cette licencieuse ardeur d’humeur volage, ils reviendront à eux et, bien discrètement, feront comme les autres et croiront ce que chacun croit. Autre chose est un dogme sérieusement étudié et que tout le monde admet, et autre chose ces impressions passagères qui, nées d’esprits déséquilibrés, vont entretenant les idées les plus téméraires et les moins définies que leur fantaisie leur inspire, et combien misérables et écervelés leurs auteurs qui s’efforcent d’être pires que cela ne leur est possible !

Ce sont les œuvres de Dieu qui nous amènent à lui et non notre faiblesse d’esprit ; c’est ce que Sebond s’applique à démontrer. — Les erreurs du paganisme et l’ignorance où il était de notre sainte vérité, ont fait encore tomber la grande âme[1] de Platon, grande mais seulement autant que peut l’être l’âme de l’homme, dans cet autre abus voisin du précédent : « Que les enfants et les vieillards sont plus accessibles que les autres à la religion », comme si elle naissait et tenait sa puissance de notre faiblesse d’esprit. Le nœud qui devrait contenir notre jugement et notre volonté, étreindre notre âme et l’unir à notre Créateur, ne devrait ni être fait ni tirer sa force de nos considérations, de nos raisonnements, de nos passions ; mais, d’essence divine, surnaturelle, se présenter à nous sous une forme, dans des conditions, avec un éclat uniques, n’être autre en un mot que l’autorité de Dieu et sa grâce. Notre cœur et notre âme sont régis et commandés par la foi ; celle-ci doit donc pouvoir user, pour l’accomplissement de ses desseins, de toutes les autres parties de notre être suivant ce que chacune peut donner. Aussi n’est-il pas croyable que cet ensemble qui constitue le monde, que cette admirable machine ne porte pas trace dénonçant la main du grand architecte qui l’a construite ; et que, dans quelques-unes de ses pièces, il ne demeure rien rappelant l’ouvrier qui les a faites et les a assemblées. Et, de fait, ses plus importants ouvrages dénotent le caractère de sa divinité et, seule, la faiblesse de notre esprit nous empêche de nous en apercevoir ; car, ainsi que Dieu le dit lui-même, « ses œuvres invisibles se manifestent par celles qui sont visibles ». — Sebond s’est appliqué à cette étude digne de notre attention ; et il nous montre que rien de ce qui est en ce monde, ne dément son créateur. Ce serait vraiment faire tort à la bonté divine, que l’univers ne se prêtât pas à affirmer la vérité de nos croyances ; le ciel, la terre, les éléments, notre corps, notre âme, toutes choses y concourent à nous de trouver le moyen de nous en servir ; elles nous livrent leur secret, sous condition que nous serons en état de le comprendre, car le monde est le temple sacré par excellence dans lequel l’homme a accès pour y contempler des statues sorties, non des mains des mortels, mais de celles de la divine pensée qui

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