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leur conscience. Pourtant ils ne lairront de ioindre leurs mains vers le ciel, si vous leur attachez vn bon coup d’espée en la poitrine : et quand la crainte ou la maladie aura abatu et appesanti cette licentieuse ferueur d’humeur volage, ils ne lairront pas de se reuenir, et se laisser tout discretement manier aux creances et exemples publiques. Autre chose est, vn dogme serieusement digeré, autre chose ces impressions superficielles : lesquelles nées de la desbauche d’vn esprit desmanché, vont nageant temcrairement et incertainement en la fantasie. Hommes bien miserables et esceruellez, qui taschent d’estre pires qu’ils ne peuuent !L’erreur du paganisme, et l’ignorance de nostre saincte verité, laissa tomber cette grande ame : mais grande d’humaine grandeur seulement, encores en cet autre voisin abus, que les enfans et les vieillars se trouuent plus susceptibles de religion, comme si elle naissoit et tiroit son credit de nostre imbecillité. Le neud qui deuroit attacher nostre iugement et nostre volonté, qui deuroit estreindre nostre ame et ioindre à nostre Createur, ce deuroit estre vn neud prenant ses repliz et ses forces, non pas de noz considerations, de noz raisons et passions, mais d’vne estreinte diuine et supernaturelle, n’ayant qu’vne forme, vn visage, et vn lustre, qui est l’authorité de Dieu et sa grace. Or nostre cœur et nostre ame estant regie et commandée par la foy, c’est raison qu’elle tire au seruice de son dessein toutes nos autres pieces selon leur portée. Aussi n’est-il pas croyable, que toute cette machine n’ait quelques merques empreintes de la main de ce grand architecte, et qu’il n’y ait quelque image és choses du monde raportant aucunement à l’ouurier, qui les a basties et formées. Il a laissé en ces hauts ouurages le charactere de sa diuinité, et ne tient qu’à nostre imbecillité, que nous ne le puissions descouurir. C’est ce qu’il nous dit luy-mesme, que ses operations inuisibles, il nous les manifeste par les visibles. Sebonde s’est trauaillé à ce digne estude, et nons montre comment il n’est piece du monde, qui desmente son facteur. Ce seroit faire tort à la bonté diuine, si l’vniuers ne consentoit à nostre creance. Le ciel, la terre, les elemens, nostre corps et nostre ame, toutes choses y conspirent : il n’est que de trouuer le moyen de s’en seruir : elles nous instruisent, si nous sommes capables d’entendre. Car ce monde est vn temple tressainct, dedans lequel l’homme est intro- duict, pour y contempler des statues, non ouurées de mortelle main, mais celles que la diuine pensée a faict sensibles, le soleil,