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est faicte pour extirper les vices : elle les couure, les nourrit, les incite. Il ne faut point faire barbe de foarre à Dieu, comme on dict. Si nous le croyions, ie ne dy pas par foy, mais d’vne simple croyance voire, et ie le dis à nostre grande confusion, si nous le croyions et cognoissions comme vne autre histoire, comme l’vn de nos compaignons, nous l’aimerions au dessus de toutes autres choses, pour l’infinie bonté et beauté qui reluit en luy : au moins marcheroit il en mesme reng de nostre affection, que les richesses, les plaisirs, la gloire et nos amis. Le meilleur de nous ne craind point de l’outrager, comme il craind d’outrager son voisin, son parent, son maistre. Est-il si simple entendement, lequel ayant d’vn costé l’obiect d’vn de nos vicieux plaisirs, et de l’autre en pareille cognoissance et persuasion, l’estat d’vne gloire immortelle, entrast, en bigue de l’vn pour l’autre ? Et si nous y renonçons souuent de pur mespris : car quelle enuie nous attire au blasphemer, sinon à l’aduenture l’enuie mesme de l’offense ? Le philosophe Antisthenes, comme on l’initioit aux mysteres d’Orpheus, le prestre luy disant, que ceux qui se voüoyent à cette religion, auoyent à receuoir apres leur mort des biens eternels et parfaicts : Pourquoy si tu le crois ne meurs tu donc toy mesmes ? luy fit-il. Diogenes plus brusquement selon sa mode, et plus loing de nostre propos, au prestre qui le preschoit de mesme, de se faire de son ordre, pour paruenir aux biens de l’autre monde : Veux tu pas que ie croye qu’Agesilaus et Epaminondas, si grands hommes, seront miserables, et que toy qui n’es qu’vn veau, et qui ne fais rien qui vaille ; seras bien heureux, par ce que tu és prestre ? Ces grandes promesses de la beatitude eternelle si nous les receuions de pareille authorité qu’vn discours philosophique, nous n’aurions pas la mort en telle horreur que nous auons :

Non iam se moriens dissolui conquereretur,
Sed magis ire foras, vestémque relinquere, vt anguis,
Gauderel, prælonga senex aut cornua ceruus.

Ie veux estre dissoult, dirions nous, et estre aueques Iesus-Christ. La force du discours de Platon de l’immortalité de l’ame, poussa bien aucuns de ses disciples à la mort, pour iouir plus promptement des esperances qu’il leur donnoit. Tout cela c’est vn signe tres-euident que nous ne receuons nostre religion qu’à nostre façon et par nos mains, et non autrement que comme les autres religions se reçoiuent. Nous nous sommes rencontrez au pays, où elle estoit en vsage, ou nous regardons son ancienneté, ou l’authorité des