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humains, que Dieu nous a donnez. Il ne faust pas doubter que ce ne soit l’vsage le plus honorable, que nous leur sçaurions donner : et qu’il n’est occupation ny dessein plus digne d’vn homme Chrestien, que de viser par tous ses estudes et pensemens à embellir, estendre et amplifier la verité de sa creance. Nous ne nous contentons point de seruir Dieu d’esprit et d’ame : nous luy deuons encore, et rendons vne reuerence corporelle : nous appliquons noz membres mesmes, et noz mouuements et les choses externes à l’honorer. Il en faut faire de mesme, et accompaigner nostre foy de toute la raison qui est en nous : mais tousiours auec cette reseruation, de n’estimer pas que ce soit de nous qu’elle despende, ny que nos efforts et arguments puissent atteindre à vne si supernaturelle et diuine science.Si elle n’entre chez nous par vne infusion extraordinaire si elle y entre non seulement par discours, mais encore par moyens humains, elle n’y est pas en sa dignité ny en sa splendeur. Et certes ie crain pourtant que nous ne la iouyssions que par cette voye. Si nous tenions à Dieu par l’entremise d’vne foy viue : si nous tenions à Dieu par luy, non par nous : si nous auions vn pied et vn fondement diuin, les occasions humaines n’auroient pas le pouuoir de nous esbranler, comme elles ont nostre fort ne seroit pas pour se rendre à vne si foible batterie : l’amour de la nouuelleté, la contraincte des Princes, la bonne fortune d’vn party, le changement temeraire et fortuite de nos opinions, n’auroient pas la force de secouër et alterer nostre croyance : nous ne la lairrions pas troubler à la mercy d’un nouuel argument, et à la persuasion, non pas de toute la rhetorique qui fut onques : nous soustiendrions ces flots d’vne fermeté inflexible et immobile :

Illisos fluctus rupes vt vasta refundit,
Et varias circùm latrantes dissipat vndas
Mole sua.

Si ce rayon de la diuinité nous touchoit aucunement, il y paroistroit par tout non seulement nos parolles, mais encore nos operations en porteroient la lueur et le lustre. Tout ce qui partiroit de nous, on le verroit illuminé de cette noble clarté. Nous deurions auoir honte, qu’és sectes humaines il ne fut iamais partisan, quelque difficulté et estrangeté que maintinst sa doctrine, qui n’y conformast aucunement ses deportemens et sa vie et vne si diuine et celeste institution ne marque les Chrestiens que par la langue. Voulez vous voir cela ? comparez nos mœurs à vn Mahometan, à vn Payen, vous demeurez tousiours au dessoubs. Là où au regard de l’auantage de nostre religion, nous deurions luire en excellence,