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plusieurs siècles après, se ressentaient de la magnificence qu’ils apportaient à toutes choses. — Les Égyptiens enterraient les loups, les ours, les crocodiles, les chiens et les chats dans des lieux consacrés ; ils les embaumaient et portaient leur deuil quand ces animaux trépassaient. — Cimon fit donner une sépulture honorable aux juments avec lesquelles, par trois fois, il avait remporté le prix de la course aux jeux Olympiques. Xantippe, dans l’antiquité, fit enterrer son chien au bord de la mer, sur un promontoire qui depuis en a porté le nom. — Plutarque lui-même se faisait scrupule, nous dit-il, de vendre et d’envoyer à la boucherie, pour en tirer un léger profit, un bœuf qui l’avait longtemps servi.

CHAPITRE XII.

Apologie de Raimond [1] Sebond.

Est-il vrai que la science soit la mère de toutes les vertus ? — La science est, je le reconnais, chose très grande et très utile ; ceux qui la méprisent font preuve de bêtise. Je n’estime pourtant pas que sa valeur soit aussi élevée que certains l’admettent, comme le philosophe Herillus par exemple, qui la considère comme le souverain bien et lui attribue le pouvoir, qu’elle n’a pas suivant moi, de nous rendre sages et satisfaits ; ou comme d’autres, qui la considèrent comme la mère de toutes les vertus, et qui, par contre, tiennent l’ignorance comme la cause de tous les vices ; si cela est, bien des réserves sont à faire.

Le père de Montaigne qui avait les savants en haute estime, ayant reçu de l’un d’eux la Théologie naturelle de Sebond, la fit traduire d’espagnol en français par son fils. — Ma maison est depuis longtemps ouverte aux gens de science, et ils la connaissent bien. Mon père, qui s’est trouvé à sa tête pendant cinquante ans et plus, enflammé de cette ardeur nouvelle que le roi François Ier porta aux lettres et qui les mit en faveur, était très porté pour les gens instruits, recherchant leur société et se mettant en grands frais pour eux. Il les recevait chez lui comme des personnes en odeur de sainteté, quelque peu inspirées de la sagesse divine ; il recueillait leurs préceptes et leurs entretiens comme des oracles, et avec d’autant plus de déférence et de foi qu’il n’était pas à même d’en juger, n’ayant pas plus que n’avaient eu ses aïeux, de connaissances littéraires. Moi, je les aime beaucoup, mais cela ne va pas jusqu’à l’adoration.

Parmi ceux qu’a reçus mon père, était Pierre Bunel qui, en son temps, avait une grande réputation de savoir, et qui, s’étant arrêté quelques jours à Montaigne, avec quelques autres savants comme

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