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en retirent (Cicéron) » ; « Les uns adorent le crocodile, d’autres regardent avec une sainte terreur l’ibis engraissé de serpents ; ici, brille sur l’autel la statue d’or d’un singe à longue queue ; … là, on adore un poisson du Nil ; ailleurs, des villes entières se prosternent devant un chien (Juvénal). » — L’explication très acceptable, que Plutarque donne de cette erreur, est encore en l’honneur des bêtes : Ce n’est pas le chat ou le bœuf par exemple, que les Égyptiens adoraient, mais les attributs divins dont ils étaient l’image éloignée : dans le bœuf, c’était sa patience et son utilité ; dans le chat, sa vivacité, ou, comme chez les Bourguignons nos voisins, et par toute l’Allemagne, son impatience de se voir enfermé ; il symbolisait pour eux la liberté que ces peuples aimaient et adoraient au delà de tous les dons qu’ils tenaient de Dieu, et ainsi des autres. — Quand je rencontre chez des auteurs aux idées les plus sensées, des dissertations tendant à démontrer une certaine ressemblance entre nous et les bêtes, faisant ressortir combien elles participent aux plus grands privilèges dont nous jouissons nous-mêmes, et combien il est vrai qu’il y a des points communs entre nous et eux, je rabats certainement beaucoup de mes présomptions et abdique sans difficulté cette royauté imaginaire que l’homme se donne sur tous les animaux.

Nous devons nous montrer justes envers nos semblables et avoir des égards vis-à-vis de toutes les autres créatures. — Témoignages de gratitude envers les animaux. — Quoi qu’on en puisse dire, nous sommes tenus, et c’est là un devoir d’humanité qui s’impose à tous, à avoir quelque respect, non seulement pour les bêtes, mais pour tout ce qui a vie et sentiment ; et cela s’étend même aux arbres et aux plantes. Nous devons aux hommes la justice ; à toutes les autres créatures, capables d’en sentir les effets, de la sollicitude et de la bienveillance ; entre elles et nous, il y a des relations, d’où certaines obligations réciproques des uns vis-à-vis des autres. — Je n’ai pas honte d’avouer que je suis tellement porté à la tendresse, et si enfant sous ce rapport, que j’ai peine à ne pas me prêter aux caresses de mon chien, ou à celles qu’il me demande, même lorsque c’est dans un moment inopportun. — Les Turcs ont des établissements où ils recueillent les bêtes, et des hôpitaux où ils les soignent. — Les Romains nourrissaient aux frais du trésor public les oies dont la vigilance avait sauvé le Capitole. — Les Athéniens avaient décidé que les mules et les mulets qui avaient été employés à la construction du temple, connu sous le nom d’Hecatempedon, seraient laissés en liberté et pourraient paître partout, sans que personne puisse y mettre empêchement. — Les Agrigentins avaient la coutume, pratiquée couramment, d’enterrer d’une façon effective les bêtes qui leur avaient été chères, telles que les chevaux qui avaient présenté quelque particularité remarquable, les chiens et les oiseaux qui leur avaient été utiles ou qui, simplement, avaient servi à amuser leurs enfants ; la richesse et le nombre de ces sépultures, qu’on admirait encore