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de les faire mettre en croix, il les y condamna ; mais ce fut apres les auoir faict estrangler. Philomon son secretaire, qui l’auoit voulu empoisonner, il ne le punit pas plus aigrement que d’vne mort simple. Sans dire qui est cet autheur Latin, qui ose alleguer pour tesmoignage de clemence, de seulement tuer ceux, desquels on a esté offencé, il est aisé à deuiner qu’il est frappé des vilains et horribles exemples de cruauté, que les tyrans Romains mirent en vsage.Quant à moy, en la iustice mesme, tout ce qui est au delà de la mort simple, me semble pure cruauté. Et notamment à nous, qui deurions auoir respect d’en enuoyer les ames en bon estat ; ce qui ne se peut, les ayant agitées et desesperées par tourmens insupportables. Ces iours passés, vn soldat prisonnier, ayant apperceu d’vne tour où il estoit, que le peuple s’assembloit en la place, et que des charpantiers y dressoient leurs ouurages, creut que c’estoit pour luy et entré en la resolution de se tuer, ne trouua qui l’y peust secourir, qu’vn vieux clou de charrette, rouillé, que la Fortune luy offrit. Dequoy il se donna premierement deux grands coups autour de la gorge : mais voyant que ce auoit esté sans effect : bien tost apres, il s’en donna vn tiers, dans le ventre, où il laissa le clou fiché. Le premier de ses gardes, qui entra où il estoit, trouua en cet estat, viuant encores mais couché et tout affoibly de ses coups. Pour emploier le temps auant qu’il deffaillist, on se hasta de luy prononcer sa sentence. Laquelle ouïe, et qu’il n’estoit condamné qu’à auoir la teste tranchée, il sembla reprendre vn nouucau courage accepta du vin, qu’il auoit refusé : remercia ses iuges de la douceur inesperée de leur condemnation. Qu’il auoit prins party, d’appeller la mort, pour la crainte d’vne mort plus aspre et insupportable ayant conceu opinion par les apprests qu’il auoit veu faire en la place, qu’on le vousist tourmenter de quelque horrible supplice : et sembla estre deliuré de la mort, pour l’auoir changée.Ie conseillerois que ces exemples de rigueur, par le moyen desquels on veut tenir le peuple en office, s’exerçassent contre les corps des criminels. Car de les voir priuer de sepulture, de les voir bouillir, et mettre à quartiers, cela toucheroit quasi autant le vulgaire, que les peines, qu’on fait souffrir aux viuans ; quoy que par effect, ce soit peu ou rien, comme Dieu dit, Qui corpus occidunt, et postea non habent quod faciant. Et les poëtes font singulierement valoir l’horreur de cette peinture, et au dessus de la mort,