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ment ne s’est pas trouué infecté par eux. Au rebours, ie les accuse plus rigoureusement en moy, qu’en vn autre. Mais c’est tout : car au demeurant i’y apporte trop peu de resistance, et me laisse trop aisément pancher à l’autre part de la balance, sauf pour les regler, et empescher du meslange d’autres vices, lesquels s’entretiennent et s’entre-enchainent pour la plus part les vns aux autres, qui ne s’en prend garde. Les miens, ie les ay retranchez et contrains les plus seuls, et les plus simples que i’ay peu :

nec vltra
Errorem foueo.

Car quant à l’opinion des Stoiciens, qui disent, le sage œuurer quand il œuure par toutes les vertus ensemble, quoy qu’il y en ait vne plus apparente selon la nature de l’action : (et à cela leur pourroit seruir aucunement la similitude du corps humain ; car l’action de la colere ne se peut exercer, que toutes les humeurs ne nous y aydent, quoy que la colere predomine) si de là ils veulent tirer pareille consequence ; que quand le fautier faut, il faut par tous les vices ensemble, ie ne les en croy pas ainsi simplement ; ou ie ne les entend pas car ie sens par effect le contraire. Ce sont subtilitez aiguës, insubstantielles, ausquelles la Philosophie s’arreste par fois. Ie suy quelques vices : mais i’en fuy d’autres, autant que sçauroit faire vn sainct. Aussi desaduoüent les Peripateticiens, cette connexité et cousture indissoluble et tient Aristote, qu’vn homme prudent et iuste, peut estre et intemperant et incontinant. Socrates aduoüoit à ceux qui recognoissoient en sa physionomie quelque inclination au vice, que c’estoit à la verité sa propension naturelle, mais qu’il l’auoit corrigée par discipline. Et les familiers du philosophe Stilpo disoient, qu’estant nay subject au vin et aux femmes, il s’estoit rendu par estude tresabstinent de l’vn et de l’autre.Ce que i’ay de bien, ie l’ay au rebours, par le sort de ma naissance : ie ne le tiens ny de loy ny de precepte ou autre apprentissage. L’innocence qui est en moy, est vne innocence niaise ; peu de vigueur, et point d’art. Ie hay entre autres vices, cruellement la cruauté, et par nature et par iugement, comme l’extremne de tous les vices. Mais c’est iusques à telle mollesse, que ie ne voy pas esgorger vn poulet sans desplaisir, et ois impatiemment gemir vn lieure sous les dents de mes chiens : quoy que ce soit vn plaisir violent que la chasse. Ceux qui ont à combattre la volupté, vsent volontiers de cet argument, pour montrer qu’elle est toute vitieuse et des-raisonnable, que lors qu’elle est en son plus grand effort, elle nous maistrise de façon, que la raison n’y peut auoir accez : et alle-