Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/100

Cette page n’a pas encore été corrigée

faut appeller, le mespris de la mort, la patience aux infortunes, peut venir et se treuue souuent aux hommes, par faute de bien iuger de tels accidens, et ne les conceuoir tels qu’ils sont. La faute d’apprehension et la bestise, contrefont ainsi par fois les effects vertueux. Comme i’ay veu souuent aduenir, qu’on a loué des hommes, de ce, dequoy ils meritoyent du blasme. Vn Seigneur Italien tenoit vne fois ce propos en ma presence, au des-auantage de sa nation : Que la subtilité des Italiens et la viuacité de leurs conceptions estoit si grande, qu’ils preuoyoient les dangers et accidens qui leur pouuoyent aduenir, de si loing, qu’il ne falloit pas trouuer estrange, si on les voyoit sounent à la guerre prouuoir à leur seurté, voire auant que d’auoir recognu le peril : que nous et les Espagnols, qui n’estions pas si fins, allions plus outre ; et qu’il nous falloit faire voir à l’ail et toucher à la main, le danger auant que de nous en effrayer ; et que lors aussi nous n’auions plus de tenue mais que les Allemans et les Souysses, plus grossiers et plus lourds, n’auoyent le sens de se rauiser, à peine lors mesmes qu’ils estoyent accablez soubs les coups. Ce n’estoit à l’aduenture que pour rire. Si est-il bien vray qu’au mestier de la guerre, les apprentis se iettent bien souuent aux hazards, d’autre inconsideration qu’ils ne font apres y auoir esté eschauldez.


Haud ignarus, quantùm noua gloria in armis,
Et prædulce decus, primo certamine, possit.

Voyla pourquoy quand on iuge d’vne action particuliere, il faut considerer plusieurs circonstances, et l’homme tout entier qui l’a produicte, auant la baptizer.Pour dire vn mot de moy-mesme : I’ay veu quelque fois mes amis appeller prudence en moy, ce qui estoit fortune ; et estimer aduantage de courage et de patience, ce qui estoit aduantage de iugement et opinion ; et m’attribuer vn tiltre pour autre ; tantost à mon gain, tantost à ma perte. Au demeurant, il s’en faut tant que ie sois arriué à ce premier et plus parfaict degré d’excellence, où de la vertu il se faict vne habitude ; que du second mesme, ie n’en ay faict guere de preuue. Ie ne me suis mis en grand effort, pour brider les desirs dequoy ie me suis trouué pressé. Ma vertu, c’est vne vertu, ou innocence, pour mieux dire, accidentale et fortuite. Si ie fusse nay d’vne complexion plus desreglée, ie crains qu’il fust allé piteusement de mon faict : car ie n’ay essayé guere de fermeté en mon ame, pour soustenir des passions, si elles eussent esté tant soit peu vehementes. Ie ne sçay point