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Mon goust et ma complexion est plus ennemie de ce vice, que mon discours. Car outre ce que ie captiue aysément mes créances soubs l’authorité des opinions anciennes, ie le trouue bien vn vice lasche et stupide, mais moins malicieux et dommageable que les autres, qui choquent quasi tous de plus droit fil la société publique. Et si nous ne nous pouuons donner du plaisir, qu’il ne nous couste quelque chose, comme ils tiennent, ie trouue que ce vice couste moins à nostre conscience que les autres : outre ce qu’il n’est point de difficile apprest, ny malaisé à trouuer : considération non mesprisable. Vn homme auancé en dignité et en aage, entre trois principales commoditez, qu’il me disoit luy rester, en la vie, comptoit ceste-cy, et où les veut on trouuer plus iustement qu’entre les naturelles ? Mais il la prenoit mal. La délicatesse y est à fuyr, et le soigneux triage du vin. Si vous fondez vostre volupté à le boire friand, vous vous obligez à la douleur de le boire autre. Il faut auoir le goust plus lasche et plus libre. Pour estre bon beuueur, il ne faut le palais si tendre. Les Allemans boiuent quasi esgalement de tout vin auec plaisir. Leur fin c’est l’aualler, plus que le gouster. Ils en ont bien meilleur marché. Leur volupté est bien plus plantureuse et plus en main.Secondement, boire à la Françoise à deux repas, et moderéement, c’est trop restreindre les faneurs de ce Dieu. Il y faut plus de temps et de constance. Les anciens franchissoyent des nuicts entières à cet exercice, et y attachoyent souuent les iours. Et si faut dresser son ordinaire plus large et plus ferme. I’ay veu vn grand Seigneur de mon temps, personnage de hautes entreprinses, et fameux succez, qui sans effort, et au train de ses repas communs, ne beuuoit guère moins de cinq lots de vin : et ne se montroit au partir de là, que trop sage et aduisé aux despens de noz affaires. Le plaisir, duquel nous voulons tenir compte au cours de nostre vie, doit en employer plus d’espace. Il faudroit, comme des garçons de boutique, et gents de trauail, ne refuser nulle occasion de boire, et auoir ce désir tousiours en teste. Il semble que touts les iours nous racourcissons l’vsage de cestuy-cy : et qu’en noz maisons, comme i’ay veu en mon enfance, les desiuners, les ressiners, et les collations fussent plus fréquentes et ordinaires, qu’à présent. Seroit ce qu’en quelque chose nous allassions vers l’amendement ? Vrayement non. Mais ce peut estre que nous nous sommes beaucoup plus iettez à la paillardise, que noz pères. Ce sont deux occupations, qui s’entrempeschent en leur vigueur. Elle a affoibli nostre estomach d’vne part : et d’autre part la sobriété sert à nous rendre plus coints, plus damerets pour l’exercice de l’amour.C’est merueille des