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desgoutement aux exercices de Venus, elle nous vient aussi d’vn appétit trop véhément, et d’vne chaleur desreglée. L’extrême froideur et l’extrême chaleur cuisent et rôtissent. Aristote dit que les cueux de plomb se fondent, et coulent de froid, et de la rigueur de l’hyuer, comme d’vne chaleur véhémente. Le désir et la satiété remplissent de douleur les sièges au dessus et au dessous de la volupté.La bestise et la sagesse se rencontrent en mesme poinct de sentiment et de resolution à la souffrance des accidens humains : les sages gourmandent et commandent le mal, et les autres l’ignorent : ceux-cy sont, par manière de dire, au deçà des accidens, les autres au delà : lesquels après en auoir bien poisé et considéré les qualitez, les auoir mesurez et iugez tels qu’ils sont, s’eslancent au dessus, par la force d’vn vigoureux courage. Ils les desdaignent et foulent aux pieds, ayans vne ame forte et solide, contre laquelle les traicts de la fortune venans à donner, il est force qu’ils reialissent et s’esmoussent, trouuans vn corps dans lequel ils ne peuuent faire impression : l’ordinaire et moyenne condition des hommes, loge entre ces deux extremitez : qui est de ceux qui apperçoiuent les maux, les sentent, et ne les peuuent supporter. L’enfance et la décrépitude se rencontrent en imbécillité de cerueau. L’auarice et la profusion en pareil désir d’attirer et d’acquérir.Il se peut dire auec apparence, qu’il y a ignorance abécédaire, qui va deuant la science : vne autre doctorale, qui vient après la science : ignorance que la science fait et engendre, tout ainsi comme elle deffait et destruit la première. Des esprits simples, moins curieux et moins instruits, il s’en fait de bons Chrestiens, qui par reuerence et obéissance, croyent simplement, et se maintiennent sous les loix. En la moyenne vigueur des esprits, et moyenne capacité, s’engendre l’erreur des opinions : ils suiuent l’apparence du premier sens : et ont quelque filtre d’interpréter à niaiserie et bestise que nous soyons arrestez en l’ancien train, regardans à nous, qui n’y sommes pas instruits par estude. Les grands esprits plus rassis et clairuoyans, font vn autre genre de bien croyans : lesquels par longue et religieuse inuestigation, pénètrent vne plus profonde et abstruse lumière, es escritures, et sentent le mystérieux et diuin secret de nostre police ecclésiastique. Pourtant en voyons nous aucuns estre arriuez à ce dernier estage,