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Il semble, que ce soit raison, puis qu’on parle de se retirer du monde, qu’on regarde hors de luy. Ceux-cy ne le font qu’à demy. Ils dressent bien leur partie, pour quand ils n’y seront plus : mais le fruit de leur dessein, ils prétendent le tirer encore lors, du inonde, absens, par vne ridicule contradiction.L’imagination de ceux qui par deuotion, cerchent la solitude, remplissants leur courage, de la certitude des promesses diuines, en l’autre vie, est bien plus sainement assortie. Ils se proposent Dieu, obiect infini en bonté et en puissance. L’ame a dequoy y rassasier ses désirs, en toute liberté. Les afflictions, les douleurs, leur viennent à profit, employées à l’acquest d’vne santé et resiouyssance éternelle. La mort, à souhait : passage à vn si parfaict estât. L’aspreté de leurs règles est incontinent applanie par l’accoustumance : et les appétits charnels, rebutez et endormis par leur refus : car rien ne les entretient que l’vsage et l’exercice. Cette seule fin, d’vne autre vie heureusement immortelle, mérite loyalement que nous abandonnions les commoditez et douceurs de cette vie nostre. Et qui peut embraser son ame de l’ardeur de cette viue foy et espérance, réellement et constamment, il se bastif en la solitude, vne vie voluptueuse et délicieuse, au delà de toute autre sorte de vie.Ny la fin donc ny le moyen de ce conseil ne me contente : nous retombons tousiours de fieure en chaud mal. Cette occupation des liures, est aussi pénible que toute autre ; et autant ennemie de la santé, qui doit estre principalement considérée. Et ne se faut point laisser endormir au plaisir qu’on y prend : c’est ce mesme plaisir qui perd le mesnager, l’auaricieux, le voluptueux, et l’ambitieux. Les sages nous apprennent assez, à nous garder de la trahison de noz appétits ; et à discerner les vrays plaisirs et entiers, des plaisirs meslez et bigarrez de plus de peine. Car la pluspart des plaisirs, disent ils, nous chatouillent et embrassent pour nous estrangler, comme faisoyent les larrons que les Ægyptiens appelloyent Philistas : et si la douleur de teste nous venoit auant l’yuresse, nous nous garderions de trop boire ; mais la volupté, pour nous tromper, marche deuant, et nous cache sa suitte. Les liures sont plaisans : mais si