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j’ajouterai que le capitaine Martin du Bellay relate avoir vu, dans un voyage dans le Luxembourg, des froids si rigoureux que le vin destiné aux soldats se coupait à coups de hache et de cognée, et se débitait au poids à la troupe qui l’emportait dans des paniers. Ovide, du reste, ne dit-il pas : « Le vin gelé conserve la forme du vase qui le contenait ; on ne le boit pas liquide, la distribution en est faite par morceaux. » — Les gelées sont si fortes à l’entrée des Palus Méotides que, sur les mêmes emplacements où, sur la glace, il avait combattu à pied sec et défait ses ennemis, le lieutenant de Mithridate, l’été suivant, gagna encore sur ces mêmes adversaires une bataille navale. — Les Romains se trouvèrent dans un grand état d’infériorité, lors du combat qu’ils livrèrent aux Carthaginois près de Plaisance, de ce qu’ils combattirent glacés jusqu’au sang et les membres raidis par le froid. Annibal, lui, avait eu soin de faire faire de grands feux sur toute sa ligne, pour que ses soldats pussent se chauffer, et à ses divers corps de troupes il avait fait distribuer de l’huile, pour que, s’en frottant, leurs membres se dégourdissent et en devinssent plus souples, et que l’huile formant enduit, protégeât les pores de la peau contre les atteintes de l’air et le vent glacial qui régnait à ce moment. — La retraite des Grecs pour, de Babylone, regagner leur patrie, est fameuse par les difficultés et les souffrances qu’ils eurent à surmonter. Ils furent entre autres, dans les montagnes d’Arménie, assaillis par une très forte tourmente de neige qui leur fit perdre momentanément toute connaissance du pays et des chemins. Contraints par suite de demeurer sur place, ils furent un jour et une nuit sans boire ni manger ; la plupart de leurs bêtes périrent ainsi que plusieurs d’entre eux ; quelques-uns perdirent la vue par l’effet du grésil et l’éclatante blancheur de la neige ; quelques-uns eurent les extrémités des membres gelés ; et il y en eut qui, conservant leur pleine connaissance, envahis complètement par le froid, en furent engourdis, paralysés et immobilisés à tout jamais. — Alexandre a vu un pays où, en hiver, on enterre les arbres fruitiers pour les défendre contre la gelée ; nous sommes, du reste, à même de le voir faire parfois chez nous mêmes.

Usages à la cour de l’Empereur du Mexique. — Revenons à l’habillement. L’empereur du Mexique changeait de vêtements quatre fois par jour et ne mettait jamais deux fois les mêmes ; ceux qu’il quittait lui servaient à faire des libéralités, ou il les donnait en récompense. Il en était de même des vases, des plats et des ustensiles de sa cuisine et de sa table, qui jamais n’étaient employés pour son service et ne paraissaient deux fois devant lui.