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cessaire disparité d’aages, et différence d’offices entre les amants, ne respondoit non plus assez à la parfaicte vnion et conuenance qu’icy nous demandons. Quis est enim iste amor amicitiæ ? cur neque deformem adolescentem quisquam amat, neque formosum senem ? Car la peinture mesme qu’en faict l’Académie ne me desaduoüera pas, comme ir pense, de dire ainsi de sa part : Que cette première fureur, inspirée par le fils de Venus au cœur de l’amant, sur l’obiect de la fleur d’vne tendre ieunesse, à laquelle ils permettent tous les insolents et passionnez efforts, que peut produire vne ardeur immodérée, estoit simplement fondée en vne beauté externe : fauce image de la génération corporelle. Car en l’esprit elle ne pouuoit, duquel la montre estoit encore cachée : qui n’estoit qu’en sa naissance, et auant l’aage de germer. Que si cette fureur saisissoit vn bas courage, les moyens de sa poursuitte c'estoient richesses, présents, faueur à l’auancement des dignitez : et telle autre basse marchandise, qu’ils reprouuent. Si elle tomboit en vn courage plus généreux, les entremises estoient généreuses de mesmes : Instructions philosophiques, enseignements à reuerer la religion, obeïr aux loix, mourir pour le bien de son pais : exemples de vaillance, prudence, iustice. S’estudiant l’amant de se rendre acceptable par la bonne grâce et beauté de son ame, celle de son corps estant pieça fanée : et espérant par cette société mentale, establir vn marché plus ferme et durable. Quand cette poursuitte arriuoit à l’effect, en sa saison (car ce qu’ils ne requièrent point en l’amant, qu’il apportast loysir et discrétion en son entreprise ; ils le requièrent exactement en l’aimé : d’autant qu’il luy falloit iuger d’vne beauté interne, de difficile cognoissance et abstruse descouuerte) lors naissoit en l’aymé le désir d’vne conception spirituelle, par l’entremise d’vne spirituelle beauté. Cette cy estoit icy principale : la corporelle, accidentale et seconde : tout le rebours de l’amant. À cette cause préfèrent ils l’aymé : et vérifient, que les Dieux aussi le préfèrent : et tansent grandement le poëte Aischylus, d’auoir en l’amour d’Achilles et de Patroclus, donné la part de l’amant à Achilles, qui