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il dispose, mais seulement ceux les plus appropriés à son sujet. Qu’on le rende délicat sur le choix et le triage des arguments qu’il emploie ; qu’il recherche ce qui s’applique exactement au sujet qu’il traite, par conséquent qu’il soit bref. — Qu’on l’instruise surtout à céder et à cesser la discussion dès que la vérité lui apparaît, soit qu’elle résulte des arguments de son adversaire, soit qu’elle se forme par un retour sur sa propre argumentation, car il n’est pas un prédicateur monté en chaire pour défendre une thèse qui lui est imposée ; s’il défend une cause, c’est qu’il l’approuve ; il ne fait pas le métier de ceux qui, vendant leur liberté à beaux deniers comptants, ont perdu le droit de reconnaître qu’ils font erreur et d’en convenir : « Aucune nécessité ne l’oblige à défendre ce qu’on voudrait impérieusement lui prescrire (Cicéron). »

Il sera affectionné à son prince, prêt à le servir avec le plus entier dévouement, pour le bien public, mais ne recherchera pas d’emploi à la cour. — Si son gouverneur a de mon caractère, il lui inspirera la volonté de servir son prince avec la loyauté la plus absolue, de lui porter la plus vive affection et d’être prêt à affronter tous les périls pour son service ; mais il le détournera de s’attacher à lui autrement que par devoir public. Contracter vis-à-vis de lui des obligations particulières présente, entre divers autres inconvénients qui portent atteinte à notre liberté, celui de faire que le langage d’un homme au service d’un autre, subventionné par lui, est ou moins entier et moins libre, ou entaché d’imprudence ou d’ingratitude. Un vrai courtisan n’a ni le droit, ni la volonté de dire et de penser autrement qu’en bien d’un maître qui, parmi tant de milliers d’autres de ses sujets, l’a choisi, pourvoit à son entretien et l’élève de ses propres mains. Par la force même des choses, cette faveur, les avantages qu’il en retire, l’éblouissent et corrompent sa franchise ; aussi, dans un état, voit-on communément le langage de ces gens sur ce qui concerne la cour et le prince, différer de celui de tous autres et en général être peu digne de foi.

On lui inspirera la sincérité dans les discussions ; il prêtera attention à tout, s’enquerra de tout. — Que sa conscience et sa vertu soient manifestes dans ses paroles et qu’il n’ait jamais que la raison pour[1] guide. On lui fera entendre que confesser une erreur qu’il peut avoir commise dans ses propos, alors même qu’il ait été le seul a s’en apercevoir, est une preuve de jugement et de sincérité, principales qualités qu’il doit rechercher. S’opiniâtrer et contester quand même, sont des défauts fréquents qui sont surtout le propre d’âmes peu élevées ; se raviser et se corriger, abandonner au cours même de la discussion une manière de voir qui vous semble mauvaise, sont des qualités qui se rencontrent rarement, indices d’une âme forte, véritablement empreinte de philosophie.

On l’avertira de prêter attention à tout, quand il est en société ; car je constate que, très communément, les premières places sont

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