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par rencontre aux principaux conseils de nos Roys : et si cette fin de s’en enrichir, qui seule nous est auiourd’huy proposée par le moyen de la Iurisprudence, de la Médecine, du pedantisme, et de la Théologie encore, ne les tenoit en crédit, vous les verriez sans double aussi marmiteuses qu’elles furent onques. Quel dommage, si elles ne nous apprennent ny à bien penser, ny à bien faire ? Postquam docti prodierunt, boni desunt. Toute autre science, est dommageable à celuy qui n’a la science de la bonté.Mais la raison que ie cherchoys tantost, seroit elle point aussi de là, que nostre estude en France n’ayant quasi autre but que le proufit, moins de ceux que nature a faict naistrc à plus généreux offices que lucratifs, s’adonnants aux lettres, ou si courtement (retirez auant que d’en auoir pris appétit, à vne profession qui n’a rien de commun auec les liures) il ne reste plus ordinairement, pour s’engager tout à faict à l’estude, que les gents de basse fortune, qui y questent des moyens à viure ? Et de ces gents-là, les âmes estans et par nature, et par institution domestique et exemple, du plus bas aloy, rapportent faucement le fruit de la science. Car elle n’est pas pour donner iour à l’ame qui n’en a point : ny pour faire voir vn aueugle. Son mestier est, non de luy fournir de veuë, mais de la luy dresser, de luy régler ses allures, pourueu qu’elle aye de foy les pieds, et les iambes droites et capables. C’est vne bonne drogue que la science, mais nulle drogue n’est assés forte, pour se preseruer sans altération et corruption, selon le vice du vase qui l’estuye. Tel a la veuë claire, qui ne l’a pas droitte : et par conséquent void le bien, et ne le suit pas : et void la science, et ne s’en sert pas. La principale ordonnance de Platon en sa republique, c’est donner à ses citoyens selon leur nature, leur charge. Nature peut tout, et fait tout. Les boiteux sont mal propres aux exercices du corps, et aux exercices de l’esprit les âmes boiteuses. Les bastardes et vulgaires sont indignes de la philosophie. Quand nous voyons vn homme mal chaussé, nous disons que ce n’est pas merueille, s’il est chaussetier. De mesme il semble, que l’expérience nous offre souuent, vn médecin plus mal médecine, vn Théologien moins reformé, et coustumierement vn sçauant moins suffisant qu’vn autre. Aristo Chius auoit anciennement raison de dire, que les philosophes nuisoient aux auditeurs : d’autant que la plus part des âmes ne se trouuent propres à faire leur profit de telle instruction : qui, si elle ne se met à bien, se met à mal : ασω-