Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/230

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seulement, et mettre au vent. C’est merueille combien proprement la sottise se loge sur mon exemple. Est-ce pas faire de mesme, ce que ie fay en la plus part de cette composition ? Ie m’en vay escornifflant par-cy par-là, des liures, les sentences qui me plaisent ; non pour les garder, car ie n’ay point de gardoire, mais pour les transporter en cettuy-cy ; où, à vray dire, elles ne sont non plus miennes, qu’en leur première place. Nous ne sommes, ce croy-ie, sçauants, que de la science présente : non de la passée, aussi peu que de la future. Mais qui pis est, leurs escoliers et leurs petits ne s’en nourrissent et alimentent non plus, ains elle passe de main en main, pour cette seule fin, d’en faire parade, d’en entretenir autruy, et d’en faire des comptes, comme vne vaine monnoye inutile à tout autre vsage et emploite, qu’à compter et ietter. Apud alios loqui didicerunt, non ipsi secum. Non est loquendum, sed gubernandum. Nature, pour montrer qu’il n’y a rien de sauuage en ce qu’elle conduit, faict naistre souuent es nations moins cultiuées par art, des productions d’esprit, qui luittent les plus artistes productions. Comme sur mon propos, le prouerbe Gascon tiré d’vne chalemie, est-il délicat, Bouha prou bouha, mas à remuda lous dits quem. Souffler prou souffler, mais à remuer les doits, nous en sommes là. Nous sçauons dire, Cicero dit ainsi, voila les meurs de Platon, ce sont les mots mesmes d’Aristote : mais nous que disons nous nous mesmes ? que faisons nous ? que iugeons nous ? Autant en diroit bien vn perroquet.

Cette façon me faict souuenir de ce riche Romain, qui auoit esté soigneux à fort grande despence, de recouurer des hommes suffisans en tout genre de science, qu’il tenoit continuellement autour de luy, affin que quand il escheoit entre ses amis, quelque occasion de parler d’vne chose ou d’autre, ils suppléassent en sa place, et fussent tous prests à luy fournir, qui d’vn discours, qui d’vn vers d’Homere, chacun selon son gibier : et pensoit ce sçauoir estre sien, par ce qu’il estoit en la teste de ses gens. Et comme font aussi ceux, desquels la suffisance loge en leurs somptueuses librairies. I’en cognoy, à qui quand ie demande ce qu’il sçait, il me demande vn liure pour le montrer : et n’oseroit me dire, qu’il a le derrière galeux, s’il ne va sur le champ estudier en son lexicon que c’est que galeux, et que c’est que derrière.Nous prenons en garde les opi-