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Thebes. Il tenoit aussi qu’en une bataille il falloit fuyr le rencontre d’un amy qui fut au party contraire, et l’espargner. Et son humanité à l’endroit des ennemis mesmes l’ayant mis en soupçon envers les Baeotiens de ce qu’apres avoir miraculeusement forcé les Lacedemoniens de luy ouvrir le pas qu’ils avoyent entreprins de garder à l’entrée de la Morée pres de Corinthe, il s’estoit contenté de leur avoir passé sur le ventre sans les poursuyvre à toute outrance, il fut deposé de l’estat de Capitaine general : tres-honorablement pour une telle cause et pour la honte que ce leur fut d’avoir par necessité à le remonter tantost apres en son degré, et reconnoistre combien de luy dependoit leur gloire et leur salut, la victoire le suyvant comme son ombre par tout où il guidast. La prosperité de son pays mourut aussi, comme elle estoit née, avec luy.


De la ressemblance des enfans aux peres.
Chap. XXXVII.



CE fagotage de tant de diverses pieces se faict en cette condition, que je n’y mets la main que lors qu’une trop lasche oisiveté me presse, et non ailleurs que chez moy. Ainsin il s’est basty à diverses poses et intervalles, comme les occasions me detiennent ailleurs par fois plusieurs moys. Au demeurant, je ne corrige point mes premieres imaginations par les secondes ; ouy à l’aventure quelque mot, mais pour diversifier, non pour oster. Je veux representer le progrez de mes humeurs, et qu’on voye chaque piece en sa naissance. Je prendrois plaisir d’avoir commencé plus-tost et à reconnoistre le trein de mes mutations. Un valet qui me servoit à les escrire soubs moy pensa faire un grand butin de m’en desrober plusieurs pieces choisies à sa poste. Cela me console qu’il n’y fera pas plus de gain que j’y ay fait de perte. Je me suis envieilly de sept ou huict ans depuis que je commençay : ce n’a pas esté sans quelque nouvel acquest. J’y ay pratiqué la colique par la liberalité des ans. Leur commerce et longue conversation ne se passe aisément sans quelque tel fruit. Je voudroy bien, de plusieurs autres presens qu’ils ont à faire à ceux qui les hantent long temps, qu’ils en eussent choisi quelqu’un qui m’eust esté plus acceptable : car ils ne m’en eussent sçeu faire que j’eusse en plus grande horreur, des mon enfance : c’estoit à point nommé, de tous les accidents de la vieillesse, celuy que je craignois le plus. J’avoy pensé mainte-fois à part moy que j’alloy trop avant, et qu’à faire un si long chemin, je ne faudroy pas de m’engager en fin en quelque malplaisant rencontre. Je sentois et protestois assez qu’il estoit heure de partir, et qu’il