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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

La première fois qu’il alla le voir, Plancher-Valcour trouva ce vieillard occupé d’un travail assez étrange, digne d’une imagination ravagée par les romans anglais : c’était un recueil d’épitaphes sérieuses et badines en trois volumes, — recueil dans lequel il avait compris tous ses amis, morts ou vivants. La Place accueillit le jeune poëte avec affabilité, sourit aux petits vers qu’il lui débita et ne lui donna pas plus de conseils qu’il ne fallait. Aussi Plancher-Valcour revint-il le voir souvent. Il passa une année dans cette maison, une année de bonheur et de rêves, à la fin de laquelle, son libraire refusant de lui imprimer un second volume, il redescendit de son sixième étage et retourna en province, Crispin comme devant.

Mais il avait mordu au fruit de l’arbre du beau et du laid : désormais il était acquis à la littérature. Tout en jouant les grandes casaques, il composa plusieurs pièces de théâtre, qu’il fit représenter en chemin, telles que le Siège de Poitiers, drame lyrique en trois actes, les Petites-Affiches, et des proverbes dont s’empara le répertoire des Variétés-Amusantes. Celui qui est intitulé : À bon vin point d’enseigne, donne une idée de sa manière satirique et enluminée. Les noms des personnages y sont analogues à leur qualité ou à leur emploi : un négociant s’appelle Calcul de la Tonne d’or, un maître écrivain Coulé, un orateur improviste (sic) des boulevards, Plein-Vent. Ce procédé naïf, que les maîtres n’ont pas dédaigné (Regnard donne le nom de Scrupule à un notaire, et Le Sage celui de Sépulcre à un médecin), est poussé à l’excès par Plancher-Valcour, qui n’a guère, du reste, que ce seul comique.