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LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

XII

LE RÊVE

Je rêvais que j’étais redevenu jeune, ce qui est le plus horrible et le plus charmant des rêves.

C’était le matin, sur une grande route bien claire, par un beau soleil. Vêtu de l’habit de mousquetaire, je marchais allègrement, tout droit devant moi. Au bout de quelques instants, je m’arrêtai devant la grille d’une avenue, attiré par des rires jeunes et frais. Les arbres de cette avenue étaient magnifiques et menaient à un château de noble apparence, du temps du roi Louis XIII. Le rouge de ses briques ressortait gaiement du milieu du feuillage ; son perron naissait du sein de l’herbe.

J’étais devant cette grille, lorsque je vis déboucher sur la pelouse de l’avenue un groupe de robes blanches et de têtes enjouées. C’étaient cinq jeunes filles, dont la plus âgée ne dépassait pas seize ans. Elles se poursuivaient en riant ; l’une d’elles se baissait quelquefois pour cueillir des fleurs, qu’elle jetait ensuite, toutes mouillées de rosée, au visage de ses compagnes. Tantôt elles disparaissaient, mais pour reparaître un peu plus loin, aussi bruyantes, aussi gracieuses.

Je n’ai guère abusé, dans mes écrits, de ces images heureuses. Mon style a toujours été un style de corrompu. Ne vous moquez pas trop de moi si ma pastorale vous paraît gauche, et si, en voulant être sincère, je ne parviens qu’à être ridicule.

Cette apparition enchanta mes vingt ans. Je restai immobile et ému.