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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

ceur : — Mais je m’aperçois que j’ai troublé les plaisirs de la société ; on chantait ici ; que ce ne soit pas moi, je vous en supplie, qui interrompe la fête, etc. — Le directeur s’excusait, le général insista ; enfin la demoiselle joua et chanta des couplets patriotiques, dont les refrains furent répétés par tout le monde, excepté par l’auteur en question ; le 13 vendémiaire lui avait coupé la parole, et il ne soufflait pas le mot.

« Au reste, si sa bouche était muette, ses yeux ne l’étaient pas ; car, du petit coin obscur dont il s’était emparé, il décomposait tous les traits de Bonaparte et il apprenait par cœur sa figure. Après la chanson, le général resta encore quelques minutes, se leva et partit. Il avait parlé peu, mais le peu qu’il avait dit était plein de justesse ; il se taisait plus qu’il ne parlait, mais tout à coup il rompait le silence et prononçait avec une extrême vivacité quelques paroles pleines de sens et toujours à propos. Quand il fut parti, la conversation ne roula plus que sur lui, et Carnot augura dès lors qu’il n’en resterait pas là.

« En revenant chez lui, l’auteur disait à sa famille, d’un air rêveur et abstrait : — Hum ! c’est un singulier nom que Bonaparte… Hum ! c’est dommage ; il me plairait assez… Je ne sais, mais ce général-là n’est pas un général comme les autres… Hum ! je suis bien trompé s’il n’a pas d’esprit… — Et la famille de répondre : Hum ! en effet, il est singulier. »

Il paraît que la suspension de cet ouvrage dérouta complètement le Cousin Jacques, car sa fécondité en fut dès lors sensiblement diminuée. Quelques années encore, et on le perdit tout à fait de vue.