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CONTES POPULAIRES EN ITALIE

maladroit, malavisé, qui perd ou casse tous les meubles de la maison, ne comprend jamais ce qu’on lui dit, obéit de travers, manque les commissions, abonde en bévues, en sottises et en pataquès : on le surprend en conversations avec la lune, il lui vient des imaginations que n’ont guère les naïfs plus sensés de notre pays.

Un jour qu’il s’était fait habiller à neuf et coiffer d’un beau béret rouge, il se demanda non sans inquiétude comment il s’y prendrait pour payer les marchands. Pour se tirer d’affaire, il fit le mort et se coucha sur un lit, les mains en croix et les pointes des pieds en l’air. Les marchands vinrent le voir et dirent tour à tour en le voyant :

— Pauvre Giufà, tu me devais telle somme pour les bas, les culottes, etc., que j’avais fait la sottise de te vendre ; je te les bénis (je te remets ta dette).

On porta le prétendu mort dans une église où il devait passer la nuit, selon l’usage, dans un cercueil découvert. Entrèrent à la brune des voleurs qui venaient partager le butin de la journée ; on trouvera peut-être que les voleurs siciliens, qui sont des hommes fort dévots, choisissaient un singulier endroit pour cette opération. C’est que les églises d’Italie sont moins austères que les nôtres ; elles servent aux rendez-vous d’affaires ou d’amour ; on y entre pour se promener, faire sa sieste, ou regarder les jolies femmes, pour s’abriter du soleil et de la pluie, ou tout simplement pour passer une heure comme dans un café bien décoré qui ne coûte rien. D’ailleurs on a le confesseur sous la main, prêt à donner l’absolution, et la madone est toujours pleine de compassion pour le pauvre monde.

Les voleurs vidèrent leur sac sur une table où