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CONTES POPULAIRES EN ITALIE


sa langue que nous voulons étudier dans ces contes où les narrateurs eux-mêmes ne sont pas les personnages les moins intéressants. M. Pitrè nous présente d’abord ses fournisseurs de récits ; les plus riches, les plus brillants sont des femmes.

Au premier rang se place une Palermitaine, Agatuzza Messia. Elle n’est point belle, ni jeune : c’est une arrière grand’mère qui dès son enfance avait appris de sa grand’mère quantité d’histoires que cette grand’mère tenait de son aïeule, qui les tenait elle-même d’un aïeul. C’est ainsi que cette poésie narrative remonte à un temps déjà vieux et a pu grossir ou s’altérer en route ; cependant la Messia (c’est sous ce nom qu’elle est connue) a une mémoire excellente, et si la forme change quand elle raconte, le fond ne change jamais. Elle habite le Borgo, quartier de Palerme, où elle se fit d’abord une réputation de cantatrice. On ne se lassait pas de l’écouter ; sa voix s’est cassée depuis et elle ne chante plus, elle raconte, mais on l’écoute encore.

Il y a un demi-siècle environ, elle fit un voyage à Messine, ce qui lui donna une grande autorité dans le Borgo ; les filles de ce quartier ne sortent guère de chez elles. Quand elles vont, pour quelques emplettes, dans la rue Victor-Emmanuel, elles disent, comme si elles changeaient de pays : « Je vais à Palerme. » Cependant la Messia était allée jusqu’à Messine ; quand elle revint au Borgo, elle avait la tête pleine de récits et les yeux pleins d’images ; elle parlait de la citadelle, une forteresse que pas un homme ne pourrait prendre : les Turcs eux-mêmes n’y étaient point parvenus. Elle parlait du phare de Messine, qui était beau, mais dangereux pour les navigateurs ; elle parlait de Reggio en Ca-