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LIVRE III, CHAPITRE IX

part ne se rencontrait plus de puissance qui méritàt d`être crainte. Mais un homme vivait encore, à qui Rome faisait l’honneur de l’estimer redoutable; je veux parler du Carthaginois sans patrie, qui après avoirr armé l’Occident contre Rome, avait ensuite soulevé tout l’Orient, n’échouant peut-être dans l’une et dans l’autre entreprise, que par la faute d’une aristocratie déloyale, à Carthage, et en Asie, que par la sottise de la politique des cours. Antiochus, faisant la paix, avait du permettre de livrer le grand homme ; et celui-ci s’était réfugié en Crète d’abord, puis en Bithynie[1]. Il vivait actuellement à la cour de Prusias, lui prêtant son concours dans ses démêlés avec Eumène, et, comme d’ordinaire, victorieux sur terre et sur mer. On a soutenu qu’il voulait lancer le roi bithynien dans une guerre contre Rome : absurdité dont l’invraisemblance saute aux yeux de qui la lit reproduite dans les livres. Pour sûr, le Sénat aurait cru au dessous de sa dignité d’aller jusque dans son dernier asile pourchasser l’illustre vieillard; et je n’ajoute pas foi davantage à la tradition qui l’accuse : ce qui semble vrai, c’est que toujours en quête, dans son infatigable vanité, de projets et d'exploits nouveaux, Flamininus, après s’être fait le libérateur de la Grèce, aurait aussi voulu débarrasser Rome de ses terreurs. Si le droit des gens d’alors défendait de pousser le poignard contre la poitrine d’Hannibal, il n’empêchait ni d’aiguiser l’arme ni de montrer la victime. Prusias, le plus misérable des misérables princes de l’Asie, se fit un plaisir d’accorder à l’envoyé romain la satisfaction que celui-ci n’avait demandée qu’à mots couverts. Hannibal un jour vit sa maison tout

  1. On veut qu’il ait été aussi en Arménie, où il aurait bâti sur l’Araxe la ville d’Artaxata à la demande du roi Artaxius (Strabon, II. p. 528; Plutarch. Lucull., 31). Mais c’est là un conte pur, et qui, seulement, atteste qu’Hannibal, comme Alexandre, a pris aussi sa grande place dans les légendes de l’Orient.