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LIVRE III, CHAPITRE I

devint la plus importante place de commerce que les Phéniciens aient possédée : conquise par les Romains, à peine est-elle sortie de ses ruines, qu’elle devient la troisième ville de l’empire: aujourd’hui enfin, tels sont les avantages du lieu, qu’une autre ville y compte quelque cent mille habitants, quoique moins bien située et moins heureusement peuplée. La position de Carthage, le génie de ses habitants, expliquent à eux seuls sa prospérité agricole, mercantile, industrielle: mais comment, par quels moyens ce comptoir phénicien avait-il pu se transformer en chef-lieu d’un empire tel que les Phéniciens n’en avaient nulle part fondé un pareil? La question mérite qu’on y réponde.
Carthage à la tête des Phéniciens d'Occient dans leur lutte avec les Grecs.Les preuves abondent qu’à Carthage comme ailleurs, les Phéniciens n’avaient point démenti les habitudes passives de leur politique. Jusque dans les temps de leur plus haute fortune, les Carthaginois payèrent à une peuplade de Berbères indigènes, les Maxitains ou Maziques, la rente du terrain sur lequel était bâtie leur ville. Séparés qu’ils étaient du Grand-Roi par la mer et les déserts, n’ayant rien à craindre des monarchies de l’Orient, ils reconnurent cependant leur suzeraineté nominale, et leur payèrent tribut dans l’occasion, pour la facilité de leurs relations commerciales avec Tyr, avec les régions du soleil levant. Mais en dépit de tant de docilité et de souplesse, un jour vint où la force des choses leur imposa une politique plus virile. Le flot des émigrations helléniques allait se déversant dans l’ouest. Chassés déjà de la Grèce propre et de l'Italie, les Phénieiens allaient aussi se voir expulsés de la Sicile, de l’Espagne et de la Libye. C’en était fait de leur existence, s'ils ne luttaient, et ne mettaient une digue devant l’invasion. Avec les trafiquants grecs, il ne suffisait plus d'une soumission plus ou moins effective, comme elle eut suffi avec le Grand-Roi : le payement d’un tribut ne sauvait