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RELIGION

l’homme est à Dieu ce que le débiteur est au créancier ; ils se croient tous un droit acquis et légitime à la réalisation de leurs vœux. Les dieux sont en nombre égal à tous les instants de la vie terrestre. Les négliger ou intervertir leur culte à l’heure par eux fixée, c’est attirer sur soi leur vengeance immédiate. Aussi quels soucis, quel travail le Latin ne s’impose-t-il pas, ne fût-ce que pour se rappeler à propos chacun de ses devoirs religieux ? Sans cesse il se tourne vers ces prêtres, experts savants du droit divin, vers ces pontifes dont l’influence grandit alors démesurément. L’homme juste apporte dans l’accomplissement des rites sacrés la ponctualité commerciale qui le caractérise dans les autres actes de sa vie privée ; il tire son solde hors ligne, en même temps que la divinité réserve aussi le sien. Le contact avec les dieux est affaire de spéculation : les vœux, dans leur esprit et dans leur lettre, sont un contrat formel entre les deux parties. L’homme y assure au dieu certaines prestations en échange des prestations divines ; et, comme, à Rome à cette époque, nul contrat n’a lieu par procureur, c’est encore là un très-sérieux motif d’écarter l’intervention du prêtre, à l’instant où le fidèle présente sa prière. De même aussi que le commerçant ne compromettra jamais son honneur, pourvu qu’il s’en tienne à la lettre, la lettre seule du contrat ; de même les théologiens de Rome enseignent qu’il suffit de donner aux dieux ou d’en recevoir un symbole nominal de la chose promise. Au Dieu de la voûte céleste, on apporte des têtes d’oignons ou de pavots, en lui demandant de détourner sur elles ses foudres lancées sur les hommes ; et, en payement des offrandes annuelles exigées par le Dieu du Tibre (pater Tiberis), on jette dans ses ondes trente mannequins de jonc tressés[1]. Mélange singulier des no-

  1. Une opinion trop prompte et irréfléchie sans doute n’a vu dans ce