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Vos attraits m’avoient pris, & mes tendres soûpirs
Vous ont assez prouvé l’ardeur de mes desirs :
Mon cœur vous consacroit une flame immortelle,
Mais vos yeux n’ont pas crû leur conqueste assez belle ;
J’ay souffert sous leur joug cent mépris diférens,
Ils regnoient sur mon ame en superbes tyrans,
Et je me suis cherché, lassé de tant de peines,
Des vainqueurs plus humains, & de moins rudes chaînes :
Je les ay rencontrez, Madame, dans ces yeux,
Et leurs traits à jamais me seront précieux ;
D’un regard pitoyable ils ont seché mes larmes,
Et n’ont pas dédaigné le rebut de vos charmes ;
De si rares bontez m’ont si bien sçeu toucher,
Qu’il n’est rien qui me puisse à mes fers arracher ;
Et j’ose maintenant vous conjurer, Madame,
De ne vouloir tenter nul effort sur ma flame,
De ne point essayer à rappeller un cœur
Résolu de mourir dans cette douce ardeur.

ARMANDE.

Eh qui vous dit, Monsieur, que l’on ait cette envie,
Et que de vous enfin si fort on se soucie ?
Je vous trouve plaisant, de vous le figurer ;
Et bien impertinent, de me le déclarer.

HENRIETTE.

Eh doucement, ma Sœur. Où donc est la Morale
Qui sçait si bien régir la partie animale,
Et retenir la bride aux efforts du courroux ?

ARMANDE.

Mais vous qui m’en parlez, où la pratiquez-vous,
De répondre à l’amour que l’on vous fait parestre,
Sans le congé de ceux qui vous ont donné l’estre ?
Sçachez que le devoir vous soûmet à leurs loix,
Qu’il ne vous est permis d’aimer que par leur choix,