Page:Molière - Œuvres complètes, Garnier, 1904, tome 03.djvu/175

Cette page n’a pas encore été corrigée

une demande que je médite il y a longtemps. Elle me touche assez pour m’en charger moi-même ; et, sans autre détour, je vous dirai que l’honneur d’être votre gendre est une faveur glorieuse que je vous prie de m’accorder.

Monsieur Jourdain
Avant que de vous rendre réponse, Monsieur, je vous prie de me dire si vous êtes gentilhomme.

Cléonte
Monsieur, la plupart des gens sur cette question n’hésitent pas beaucoup. On tranche le mot aisément. Ce nom ne fait aucun scrupule à prendre, et l’usage aujourd’hui semble en autoriser le vol. Pour moi, je vous l’avoue, j’ai les sentiments sur cette matière un peu plus délicats : je trouve que toute imposture est indigne d’un honnête homme, et qu’il y a de la lâcheté à déguiser ce que le Ciel nous a fait naître, à se parer aux yeux du monde d’un titre dérobé, à se vouloir donner pour ce qu’on n’est pas. Je suis né de parents, sans doute, qui ont tenu des charges honorables. Je me suis acquis dans les armes l’honneur de six ans de services, et je me trouve assez de bien pour tenir dans le monde un rang assez passable. Mais, avec tout cela, je ne veux point me donner un nom où d’autres en ma place croiraient pouvoir prétendre, et je vous dirai franchement que je ne suis point gentilhomme.

Monsieur Jourdain
Touchez là, Monsieur : ma fille n’est pas pour vous.

Cléonte
Comment ?

Monsieur Jourdain
Vous n’êtes point gentilhomme, vous n’aurez pas ma fille.

Madame Jourdain
Que voulez-vous donc dire avec votre gentilhomme ? Est-ce que nous sommes, nous autres, de la côte de saint Louis ?

Monsieur Jourdain
Taisez-vous, ma femme : je vous vois venir.

Madame Jourdain
Descendons-nous tous deux que de bonne bourgeoisie ?

Monsieur Jourdain
Voilà pas le coup de langue ?

Madame Jourd