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L’EXEMPT.

Qui ? moi, monsieur ?Oui, vous.

TARTUFFE.

Qui ? moi, monsieur ? Oui, vous.Pourquoi donc la prison ?

L’EXEMPT.

Ce n’est pas vous à qui j’en veux rendre raison.

À Orgon.

Remettez-vous, monsieur, d’une alarme si chaude ;
Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude,
Un prince dont les yeux se font jour dans les cœurs.
Et que ne peut tromper tout l’art des imposteurs.
D’un fin discernement sa grande âme pourvue
Sur les choses toujours jette une droite vue ;
Chez elle jamais rien ne surprend trop d’accès,
Et sa ferme raison ne tombe en nul excès.
Il donne aux gens de bien une gloire immortelle :
Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle,
Et l’amour pour les vrais ne ferme point son cœur
À tout ce que les faux doivent donner d’horreur.
Celui-ci n’étoit pas pour le pouvoir surprendre,
Et de pièges plus fins on le voit se défendre.
D’abord il a percé, par ses vives clartés,
Des replis de son cœur toutes les lâchetés.
Venant vous accuser, il s’est trahi lui-même,
Et, par un juste trait de l’équité suprême.
S’est découvert au prince un fourbe renommé.
Dont sous un autre nom il étoit informé ;
Et c’est un long détail d’actions toutes noires
Dont on pourroit former des volumes d’histoire ?.
Ce monarque, en un mot, a vers vous détesté[1]
Sa lâche ingratitude et sa déloyauté.
À ces autres horreurs il a joint cette suite,
Et ne m’a jusqu’ici soumis à sa conduite
Que pour voir l’impudence aller jusques au bout,
Et vous faire, par lui, faire raison de tout.

  1. Pour : a détesté sa lâche ingratitude envers vous. Inversion et apocope trop dures.