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ORGON.

Quoi ! sous un beau semblant de ferveur si touchante
Cacher un cœur si double, une âme si méchante !
Et moi qui l’ai reçu gueusant et n’ayant rien…
C’en est fait, je renonce à tous les gens de bien ;
J’en aurai désormais une horreur effroyable,
Et m’en vais devenir pour eux pire qu’un diable.

CLÉANTE.

Eh bien, ne voilà pas de vos emportemens !
Vous ne gardez en rien les doux tempéramens.
Dans la droite raison jamais n’entre la vôtre ;
Et toujours d’un excès vous vous jetez dans l’autre.
Vous voyez votre erreur, et vous avez connu
Que par un zèle feint vous étiez prévenu ;
Mais, pour vous corriger, quelle raison demande
Que vous alliez passer dans une erreur plus grande.
Et qu’avecque[1] le cœur d’un perfide vaurien
Vous confondiez les cœurs de tous les gens de bien ?
Quoi ! parce qu’un fripon vous dupe avec audace,
Sous le pompeux éclat d’une austère grimace,
Vous voulez que partout on soit fait comme lui,
Et qu’aucun vrai dévot ne se trouve aujourd’hui ?
Laissez aux libertins ces sottes conséquences :
Démêlez la vertu d’avec ses apparences,
Ne hasardez jamais votre estime trop tôt,
Et soyez pour cela dans le milieu qu’il faut.
Gardez-vous, s’il se peut, d’honorer l’imposture :
Mais au vrai zèle aussi n’allez pas faire injure ;
Et, s’il vous faut tomber dans une extrémité,
Péchez plutôt encor de cet autre côté.


Scène II.

ORGON, CLÉANTE, DAMIS.
DAMIS.

Quoi ! mon père, est-il vrai qu’un coquin vous menace ?
Qu’il n’est point de bienfait qu’en son âme il n’efface,

  1. Voyez tome 1er, p. 53, note deuxième.