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On soupçonne aisément un sort tout plein de gloire,
Et l’on veut en jouir avant que de le croire.
Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés,
Je doute du bonheur de mes témérités ;
Et je ne croirai rien, que vous n’ayez, madame,
Par des réalités su convaincre ma flamme.

ELMIRE.

Mon Dieu ! que votre amour en vrai tyran agit !
Et qu’en un trouble étrange il me jette l’esprit !
Que sur les cœurs il prend un furieux empire !
Et qu’avec violence il veut ce qu’il désire !
Quoi ! de votre poursuite on ne peut se parer,
Et vous ne donnez pas le temps de respirer ?
Sied-il bien de tenir une rigueur si grande,
De vouloir sans quartier les choses qu’on demande,
Et d’abuser ainsi, par vos efforts pressans,
Du foible que pour vous vous voyez qu’ont les gens ?

TARTUFFE.

Mais, si d’un œil bénin vous voyez mes hommages,
Pourquoi m’en refuser d’assurés témoignages ?

ELMIRE.

Mais comment consentir à ce que vous voulez.
Sans offenser le ciel, dont toujours vous parlez ?

TARTUFFE.

Si ce n’est que le ciel qu’à mes vœux on oppose,
Lever un tel obstacle est à moi peu de chose ;
Et cela ne doit point retenir votre cœur.

ELMIRE.

Mais des arrêts du ciel on nous fait tant de peur !

TARTUFFE.

Je vous puis dissiper ces craintes ridicules,
Madame, et je sais l’art de lever les scrupules.
Le ciel défend, de vrai, certains contentemens.
Mais on trouve avec lui des accommodemens[1].

  1. Ici Molière, craignant qu’on ne dénaturât ses intentions, avait mis la note suivante : « C’est un scélérat qui parle »