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Mais, puisque la parole enfin en est lâchée.
À retenir Damis me serois-je attachée,
Aurois-je, je vous prie, avec tant de douceur
Écouté tout au long l’offre de votre cœur.
Aurois-je pris la chose ainsi qu’on m’a vu faire.
Si l’offre de ce cœur n’eût eu de quoi me plaire ?
Et lorsque j’ai voulu moi-même vous forcer
À refuser l’hymen qu’on venoit d’annoncer,
Qu’est-ce que cette instance a dû vous faire entendre.
Que l’intérêt qu’en vous on s’avise de prendre.
Et l’ennui qu’on auroit que ce nœud qu’on résout
Vint partager du moins un cœur que l’on veut tout ?

TARTUFFE.

C’est sans doute, madame, une douceur extrême
Que d’entendre ces mots d’une bouche qu’on aime ;
Leur miel dans tous mes sens fait couler à longs traits
Une suavité qu’on ne goûta jamais.
Le bonheur de vous plaire est ma suprême étude,
Et mon cœur de vos vœux fait sa béatitude ;
Mais ce cœur vous demande ici la liberté
D’oser douter un peu de sa félicité.
Je puis croire ces mots un artifice honnête
Pour m’obliger à rompre un hymen qui s’apprête ;
Et, s’il faut librement m’expliquer avec vous,
Je ne me fierai point à des propos si doux,
Qu’un peu de vos faveurs, après quoi je soupire,
Ne vienne m’assurer tout ce qu’ils m’ont pu dire,
Et planter dans mon âme une constante foi
Des charmantes bontés que vous avez pour moi.

ELMIRE, après avoir toussé pour avertir son mari.

Quoi ! vous voulez aller avec cette vitesse.
Et d’un cœur tout d’abord épuiser la tendresse !
On se tue à vous faire un aveu des plus doux :
Cependant ce n’est pas encore assez pour vous ;
Et l’on ne peut aller jusqu’à vous satisfaire.
Qu’aux dernières faveurs on ne pousse l’affaire ?

TARTUFFE.

Moins on mérite un bien, moins on l’ose espérer,
Nos vœux sur des discours ont peine à s’assurer.