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Mais tirez cette porte avant qu’on vous le dise,
Et regardez partout, de crainte de surprise.

Tartuffe va fermer la porte et revient.

Une affaire pareille à celle de tantôt
N’est pas assurément ici ce qu’il nous faut :
Jamais il ne s’est vu de surprise de même.
Damis m’a fait pour vous une frayeur extrême ;
Et vous avez bien vu que j’ai fait mes efforts
Pour rompre son dessein et calmer ses transports.
Mon trouble, il est bien vrai, m’a si fort possédée,
Que de le démentir je n’ai point eu l’idée :
Mais par là, grâce au ciel, tout a bien mieux été,
Et les choses en sont en plus de sûreté.
L’estime où l’on vous tient a dissipé l’orage,
Et mon mari de vous ne peut prendre d’ombrage ;
Pour mieux braver l’éclat des mauvais jugemens.
Il veut que nous soyons ensemble à tous momens ;
Et c’est par où je puis, sans peur d’être blâmée,
Me trouver ici seule avec vous enfermée,
Et ce qui m’autorise à vous ouvrir un cœur
Un peu trop prompt peut-être à souffrir votre ardeur.

TARTUFFE.

Ce langage à comprendre est assez difficile,
Madame ; et vous parliez tantôt d’un autre style.

ELMIRE.

Ah ! si d’un tel refus vous êtes en courroux,
Que le cœur d’une femme est mal connu de vous !
Et que vous savez peu ce qu’il veut faire entendre
Lorsque si foiblement on le voit se défendre !
Toujours notre pudeur combat, dans ces momens,
Ce qu’on peut nous donner de tendres sentimens.
Quelque raison qu’on trouve à l’amour qui nous dompte,
On trouve à l’avouer toujours un peu de honte.
On s’en défend d’abord ; mais de l’air qu’on s’y prend
On fait connoitre assez que notre cœur se rend ;
Qu’à nos vœux, par honneur, notre bouche s’oppose,
Et que de tels refus promettent toute chose.
C’est vous faire, sans doute, un assez libre aveu,
Et sur notre pudeur me ménager bien peu.