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CLÉANTE.

Et vous ordonne-t-il, monsieur, d’ouvrir l’oreille
À ce qu’un pur caprice à son père conseille,
Et d’accepter le don qui vous est fait d’un bien
Où le droit vous oblige à ne prétendre rien ?

TARTUFFE.

Ceux qui me connoîtront n’auront pas la pensée
Que ce suit un effet d’une âme intéressée.
Tous les biens de ce monde ont pour moi peu d’appas,
De leur éclat trompeur je ne m’éblouis pas ;
Et, si je me résous à recevoir du père
Cette donation qu’il a voulu me faire,
Ce n’est, à dire vrai, que parce que je crains
Que tout ce bien ne tombe en de méchantes mains ;
Qu’il ne trouve des gens qui, l’ayant en partage,
En fassent dans le monde un criminel usage,
Et ne s’en servent pas, ainsi que j’ai dessein,
Pour la gloire du ciel et le bien du prochain.

CLÉANTE.

Eh ! monsieur, n’ayez point ces délicates craintes.
Qui d’un juste héritier peuvent causer les plaintes.
Souffrez, sans vous vouloir embarrasser de rien,
Qu’il soit, à ses périls, possesseur de son bien,
Et songez qu’il vaut mieux encor qu’il en mésuse,
Que si de l’en frustrer il faut qu’on vous accuse.
J’admire seulement que sans confusion
Vous en ayez souffert la proposition.
Car enfin le vrai zèle a-t-il quelque maxime
Qui montre à dépouiller l’héritier légitime ?
Et, s’il faut que le ciel dans votre cœur ait mis
Un invincible obstacle à vivre avec Damis,
Ne vaudroit-il pas mieux qu’en personne discrète
Vous fissiez de céans une honnête retraite,
Que de souffrir ainsi, contre toute raison,
Qu’on en chasse pour vous le fils de la maison ?
Croyez-moi, c’est donner de votre prud’homie,
Monsieur…