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Je vous le dis encore, et parle avec franchise,
Il n’est petit ni grand qui ne s’en scandalise ;
Et, si vous m’en croyez, vous pacifierez tout,
Et ne pousserez point les affaires à bout.
Sacrifiez à Dieu toute votre colère,
Et remettez le fils en grâce avec le père.

TARTUFFE.

Hélas ! je le voudrois, quant à moi, de bon cœur
Je ne garde pour lui, monsieur, aucune aigreur ;
Je lui pardonne tout, de rien je ne le blâme.
Et voudrois le servir du meilleur de mon âme :
Mais l’intérêt du ciel n’y sauroit consentir ;
Et, s’il rentre céans, c’est à moi d’en sortir.
Après son action, qui n’eut jamais d’égale,
Le commerce entre nous porteroit du scandale :
Dieu sait ce que d’abord tout le monde en croiroit !
À pure politique on me l’imputeroit.
Et l’on diroit partout que, me sentant coupable,
Je feins pour qui m’accuse un zèle charitable ;
Que mon cœur l’appréhende et veut le ménager,
Pour le pouvoir, sous main, au silence engager.

CLÉANTE.

Vous nous payez ici d’excuses colorées,
Et toutes vos raisons, monsieur, sont trop tirées.
Des intérêts du ciel pourquoi vous chargez-vous ?
Pour punir le coupable a-t-il besoin de nous ?
Laissez-lui, laissez-lui le soin de ses vengeances :
Ne songez qu’au pardon qu’il prescrit des offenses,
Et ne regardez point aux jugemens humains,
Quand vous suivez du ciel les ordres souverains.
Quoi ! le foible intérêt de ce qu’on pourra croire
D’une bonne action empêchera la gloire !
Non, non ; faisons toujours ce que le ciel prescrit,
Et d’aucun autre soin ne nous brouillons l’esprit.

TARTUFFE.

Je vous ai déjà dit que mon cœur lui pardonne,
Et c’est faire, monsieur, ce que le ciel ordonne ;
Mais, après le scandale et l’affront d’aujourd’hui,
Le ciel n’ordonne pas que je vive avec lui.