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TARTUFFE.

Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ;
Et, lorsqu’on vient à voir vos célestes appas.
Un cœur se laisse prendre et ne raisonne pas.
Je sais qu’un tel discours de moi paroît étrange ;
Mais, madame, après tout, je ne suis pas un ange,
Et, si vous condamnez l’aveu que je vous fais,
Vous devez vous en prendre à vos charmans attraits.
Dès que j’en vis briller la splendeur plus qu’humaine,
De mon intérieur vous fûtes souveraine ;
De vos regards divins l’ineffable douceur
Força la résistance où s’obstinoit mon cœur ;
Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes.
Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes.
Mes yeux et mes soupirs vous l’ont dit mille fois ;
Et, pour mieux m’expliquer, j’emploie ici la voix.
Que si vous contemplez d’une âme un peu bénigne
Les tribulations de votre esclave indigne ;
S’il faut que vos bontés veuillent me consoler,
Et jusqu’à mon néant daignent se ravaler,
J’aurai toujours pour vous, ô suave merveille !
Une dévotion à nulle autre pareille.
Votre honneur avec moi ne court point de hasard,
Et n’a nulle disgrâce à craindre de ma part.
Tous ces galans de cour, dont les femmes sont folles.
Sont bruyans dans leurs faits et vains dans leurs paroles ;
De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer ;
Ils n’ont point de faveurs qu’ils n’aillent divulguer ;
Et leur langue indiscrète, en qui l’on se confie,
Déshonore l’autel où leur cœur sacrifie.
Mais les gens comme nous brûlent d’un feu discret,
Avec qui, pour toujours, on est sûr du secret.
Le soin que nous prenons de notre renommée
Répond de toute chose à la personne aimée ;
Et c’est en nous qu’on trouve, acceptant notre cœur,
De l’amour sans scandale et du plaisir sans peur

ELMIRE.

Je vous écoute dire, et votre rhétorique
En termes assez forts à mon âme s’explique