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Il est de faux dévots ainsi que de faux braves ;
Et, comme on ne voit pas qu’où l’honneur les conduit
Les vrais oraves soient ceux qui font beaucoup de bruit,
Les bons et vrais dévots, qu’on doit suivre à la trace,
Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace.
Eh quoi ! vous ne ferez nulle distinction
Entre l’hypocrisie et la dévotion ?
Vous les voulez traiter d’un semblable langage,
Et rendre même honneur au masque qu’au visage ;
Égaler l’artifice à la sincérité,
Confondre l’apparence avec la vérité,
Estimer le fantôme autant que la personne,
Et la fausse monnoie à l’égal de la bonne !
Les hommes, la plupart, sont étrangement faits ;
Dans la juste nature on ne les voit jamais :
La raison a pour eux des bornes trop petites,
En chaque caractère ils passent ses limites ;
Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent,
Pour la vouloir outrer et pousser trop avant.
Que cela vous soit dit en passant, mon beau-frère.

ORGON.

Oui, vous êtes sans doute un docteur qu’on révère ;
Tout le savoir du monde est chez vous retiré ;
Vous êtes le seul sage et le seul éclairé.
Un oracle, un Caton, dans le siècle où nous sommes ;
Et près de vous ce sont des sots que tous les hommes.

CLÉANTE.

Je ne suis point, mon frère, un docteur révéré,
Et le savoir chez moi n’est pas tout retiré ;
Mais, en un mot, je sais, pour toute ma science,
Du faux avec le vrai faire la différence.
Et, comme je ne vois nul genre de héros
Qui soient plus à priser que les parfaits dévots,
Aucune chose au monde et plus noble et plus belle
Que la sainte ferveur d’un véritable zèle,
Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux
Que le dehors plâtré d’un zèle spécieux,