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C’est trop, me disoit-il, c’est trop de la moitié ;
Je ne mérite pas de vous faire pitié.
Et, quand je refusois de le vouloir reprendre,
Aux pauvres, à mes yeux, il alloit le répandre,
Enfin le ciel chez moi me le fit retirer.
Et depuis ce temps-là tout semble y prospérer.
Je vois qu’il reprend tout, et qu’à ma femme même
Il prend, pour mon honneur, un intérêt extrême ;
Il m’avertit des gens qui lui font les yeux doux,
Et plus que moi six fois il s’en montre jaloux.
Mais vous ne croiriez point jusqu’où monte son zèle ;
Il s’impute à péché la moindre bagatelle ;
Un rien presque suffit pour le scandaliser.
Jusque-là qu’il se vint l’autre jour accuser,
D’avoir pris une puce en faisant sa prière,
Et de l’avoir tuée avec trop de colère.

CLÉANTE.

Parbleu, vous êtes fou, mon frère, que je croi !
Avec de tels discours vous moquez-vous de moi ?
Et que prétendez-vous ? Que tout ce badinage…

ORGON.

Mon frère, ce discours sent le libertinage[1] :
Vous en êtes un peu dans votre âme entiché ;
Et, comme je vous l’ai plus de dix fois prêché,
Vous vous attirerez quelque méchante affaire.

CLÉANTE.

Voilà de vos pareils le discours ordinaire :
Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux ;
C’est être libertin[2] que d’avoir de bons yeux ;
Et qui n’adore pas de vaines simagrées
N’a ni respect ni foi pour les choses sacrées.
Allez, tous vos discours ne me font point de peur ;
Je sais comme je parle, et le ciel voit mon cœur.
De tous vos façonniers[3] on n’est point les esclaves.

  1. Pour : liberté excessive de l’esprit, licence de doctrine. Le mot a changé de sens.
  2. Voyez la note précédente.
  3. Pour faiseurs de façons, de petites mines. Du latin, facies, dont façon est le diminutif.