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Et se peut-il qu’un homme ait un charme aujourd’hui
À vous faire oublier toutes choses pour lui ?
Qu’après avoir chez vous réparé sa misère,
Vous en veniez au point…

ORGON.

Vous en veniez au point…Halte-là, mon beau-frère,
Vous ne connoissez pas celui dont vous parlez.

CLÉANTE.

Je ne le connois pas, puisque vous le voulez ;
Mais enfm, pour savoir quel homme ce peut être…

ORGON.

Mon frère, vous seriez charmé de le connoître ;
Et vos ravissemens ne prendroient point de fin.
C’est un homme… qui… ah ! un homme… un homme enfin,
Qui suit bien ses leçons, goûte une paix profonde,
Et comme du fumier regarde tout le monde.
Oui, je deviens tout autre avec son entretien :
Il m’enseigne à n’avoir affection pour rien ;
De toutes amitiés il détache mon âme ;
Et je verrois mourir frère, enfans, mère et femme,
Que je m’en soucierois autant que de cela.

CLÉANTE.

Les sentimens humains, mon frère, que voilà !

ORGON.

Ah ! si vous aviez vu comme j’en fis rencontre,
Vous auriez pris pour lui l’amitié que je montre :
Chaque jour à l’église il venoit, d’un air doux,
Tout vis-à-vis de moi se mettre à deux genoux.
Il attiroit les yeux de l’assemblée entière
Par l’ardeur dont au ciel il poussoit sa prière ;
Il faisoit des soupirs, de grands élancemens,
Et baisoit humblement la terre à tous momens,
Et, lorsque je sortois, il me devançoit vite
Pour m’aller, à la porte, offrir de l’eau bénite.
Instruit par son garçon, qui dans tout l’imitoit,
Et de son indigence, et de ce qu’il étoit,
Je lui faisois des dons : mais, avec modestie,
Il me vouloit toujours en rendre une partie.