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Ceux de qui la conduite offre le plus à rire
Sont toujours sur autrui les premiers à médire ;
Ils ne manquent jamais de saisir promptement
L’apparente lueur du moindre attachement,
D’en semer la nouvelle avec beaucoup de joie,
Et d’y donner le tour qu’ils veulent qu’on y croie.
Des actions d’autrui, teintes de leurs couleurs,
Il pensent dans le monde autoriser les leurs,
Et, sous le faux espoir de quelque ressemblance,
Aux intrigues qu’ils ont donner de l’innocence,
Ou faire ailleurs tomber quelques traits partagés
De ce blâme public dont ils sont trop chargés.

MADAME PERNELLE.

Tous ces raisonnemens ne font rien à l’affaire.
On sait qu’Orante[1] mène une vie exemplaire ;
Tous ses soins vont au ciel ; et j’ai su par des gens
Qu’elle condamne fort le train qui vient céans.

DORINE.

L’exemple est admirable, et cette dame est bonne !
Il est vrai qu’elle vit en austère personne ;
Mais l’âge dans son âme a mis ce zèle ardent,
Et l’on sait qu’elle est prude à son corps défendant.
Tant qu’elle a pu des cœurs attirer les hommages,
Elle a fort bien joui de tous ses avantages ;
Mais, voyant de ses yeux tous les brillans baisser,
Au monde qui la quitte elle veut renoncer.
Et du voile pompeux d’une haute sagesse
De ses attraits usés déguiser la foiblesse.
Ce sont là les retours des coquettes du temps :
Il leur est dur de voir déserter les galans.
Dans un tel abandon, leur sombre inquiétude
Ne voit d’autre recours que le métier de prude ;
Et la sévérité de ces femmes de bien
Censure toute chose, et ne pardonne à rien.
Hautement d’un chacun elles blâment la vie.
Non point par charité, mais par un trait d’envie.

  1. La duchesse de Navailles. Voyez plus haut, page 317.