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DORINE.

Oui ; mais pourquoi, surtout depuis un certain temps.
Ne sauroit-il souffrir qu’aucun hante céans[1] ?
En quoi blesse le ciel une visite honnête,
Pour en faire un vacarme à nous rompre la tête ?
Veut-on que là-dessus je m’explique entre nous ?…

Montrant Elmire.

Je crois que de madame il est, ma foi, jaloux.

MADAME PERNELLE.

Taisez-vous, et songez aux choses que vous dites.
Ce n’est pas lui tout seul qui blâme ces visites :
Tout ce tracas qui suit les gens que vous hantez,
Ces carrosses sans cesse à la porte plantés,
Et de tant de laquais le bruyant assemblage,
Font un éclat fâcheux dans tout le voisinage.
Je veux croire qu’au fond il ne se passe rien :
Mais enfin on en parle, et cela n’est pas bien.

CLÉANTE.

Eh ! voulez-vous, madame, empêcher qu’on ne cause ?
Ce seroit dans la vie une fâcheuse chose,
Si, pour les sots discours où l’on peut être mis,
Il falloit renoncer à ses meilleurs amis.
Et, quand même on pourroit se résoudre à le faire,
Croiriez-vous obliger tout le monde à se taire ?
Contre la médisance il n’est point de rempart.
À tous les sots caquets n’ayons donc nul égard ;
Efforçons-nous de vivre avec toute innocence,
Et laissons aux causeurs une pleine licence.

DORINE.[2]

Daphné, notre voisine, et son petit époux[3]
Ne seroient-ils point ceux qui parlent mal de nous ?

  1. Voyez la note, page 331.
  2. Cette tirade et la suivante avaient appartenu d’abord au rôle de Cléante, comme le prouvent le ton et le style employés par Molière. Il a craint, apparemment, de donner trop de valeur a ses portraits, et a pensé qu’ils passeraient plus aisément dans la bouche d’une suivante.
  3. Allusion à la comtesse de Soissons et à son mari, qui furent exilés. Voyez plus haut, page 317.