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cent que la comédie. Je me suis étendu trop loin. Finissons par un mot d’un grand prince[1] sur la comédie du Tartuffe.

Huit jours après qu’elle eut été défendue, on représenta devant la cour une pièce intitulée Scaramouche ermite ; et le roi, en sortant, dit au grand prince que je veux dire : « Je voudrois bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière ne disent mot de celle de Scaramouche ; » à quoi le prince répondit : « La raison de cela, c’est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes ; c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. »


PREMIER PLACET
PRÉSENTÉ AU ROI
Sur la comédie du Tartuffe, qui n’avoit pas encore été représentée en public.

Sire,

Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi où je me trouve[2], je n’avois rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; et, comme l’hypocrisie, sans doute, en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, j’avois eu, Sire, la pensée que je ne rendrois pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisois une comédie qui décriât les hypocrites, et mît en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux monnoyeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistique.

Je l’ai fait, Sire, cette comédie, avec tout le soin, comme

  1. Le grand Condé.
  2. Cet emploi est celui de chef de la troupe du roi.